Grand vin, grande joie!
Mais qu’est-ce donc qu’un grand vin? Cette brûlante question m’est souvent posée tant par le néophyte qui veut savoir que par l’expert parfois narquois qui ne peut résister au plaisir de tendre ses pièges.
La réponse me semble pourtant toute simple, trop simple peut-être? Un grand vin est d’abord et avant tout un vin qui donne un grand plaisir. C’est un peu court. J’en conviens. Alors, je m’en explique.
Se fait désirer
Tout d’abord, un grand vin n’est pas acheté à la sauvette, au hasard de ce que le présentoir de notre fournisseur habituel a à offrir au jour le jour. Non, un grand vin est minutieusement choisi après s’être bien renseigné. Il faut avoir dépouillé moult chroniques et épluché nombre de catalogues avant d’identifier la perle rare et de fixer son choix sur le cru qui fait rêver. Ensuite, il faut trouver où, dans quel établissement, il sera possible de mettre la main sur le flacon tant convoité. Parfois, il arrive aussi qu’il soit nécessaire de consulter son banquier pour réunir la somme nécessaire à cet achat d’exception.
La précieuse bouteille acquise, le plus grand plaisir qu’elle puisse alors offrir, c’est de se laisser désirer. Le vrai jouisseur sait faire durer le plaisir. Il déposera soigneusement son trophée en cave et l’attendra aussi longtemps que possible pour ne l’ouvrir que quand elle aura atteint l’âge triomphal de la plénitude. Le désir croît avec les années.
Après une longue attente, le grand jour arrive enfin. L’événement tant attendu a été préparé méticuleusement. Que le grand cru soit destiné à accompagner un plat de roi ou dégusté pour lui-même est moins important que les amis qui ont été choisis pour le partager. Un grand vin ne doit jamais être un plaisir solitaire. Toujours il doit réunir quelques élus triés sur le volet et qui sauront apprécier le moment exceptionnel qui s’annonce. Ainsi, le plaisir de celui qui ouvre une telle bouteille n’en sera que plus grand encore.
L’objet de la fête
C’est qu’un grand vin est plus qu’un prétexte à la fête, il est l’objet même de la fête.
Le vin est à la bonne température et, après que le maître de cérémonie ait, parfois quelque peu théâtralement retiré le bouchon, il est décanté avec soin. Puis, enfin, versé dans des verres faits pour en révéler toute la splendeur. Ce serait une grande faute de le ruiner en le servant dans des verres indignes de lui.
Enfin, c’est l’heure de la grand-messe. Religieusement, chacun se concentre sur le précieux liquide afin d’en découvrir tous les mystères.
Mature, complexe et profond
Chacun des communiants admirera d’abord la couleur du vin, la nuance et l’intensité de celle-ci. Chacun jugera aussi de la limpidité et de la densité du liquide. Enfin, tous se prononceront sur l’heureuse évolution d’un vin arrivé à maturité, mais qui après tant d’années en cave conserve toujours une belle robe vibrante.
Réjouis des promesses faites à l’œil, c’est maintenant avec le nez que les convives poursuivront leur quête du bonheur. L’intensité des arômes, la complexité, la profondeur du bouquet, la noblesse et la race de celui-ci les combleront de joie.
Pour faire durer ce bonheur, personne n’ose se précipiter pour porter maintenant le liquide en bouche. Après avoir humé le divin nectar une, deux, trois fois, chacun repose son verre et, moment essentiel, partage son enthousiasme avec ses voisins de table. Puis, l’on recommence. Suivre l’évolution des arômes d’un grand vin dans le verre est une jouissance dont l’amateur ne peut se passer.
Le vrai plaisir du bon vin, d’un vin noble, ce n’est pas seulement de le sentir et de le boire, c’est aussi, et cela est encore plus important, d’en parler avec ceux avec qui on le partage. Si le vin est une marque de civilité, un fait de civilisation même, c’est justement parce qu’il contient assez de magie pour provoquer une conservation intelligente. Parler du vin est le nec plus ultra de l’art de la table.
Il impressionne
Le moment grandiose du saint sacrifice bachique arrive enfin, celui de goûter le vin. En bouche, le grand vin impressionne tant par sa plénitude que par sa structure harmonieuse. Comble de bonheur, même une fois avalé, il persiste longuement et laisse pendant plusieurs secondes l’agréable souvenir de ses riches arômes de bouche.
Pour les convives, ne reste alors qu’une chose à faire, parler encore du grand moment que chacun vient de vivre et, pourquoi pas, rêver de la prochaine occasion, de la prochaine grande bouteille qu’on ouvrira bientôt.
Benoit Guy Allaire
de l’Académie du vin de l’Outaouais