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Des critiques qui critiquent!

Texte modifié le 21 mai 2015

Quel est le rôle d’un critique?
   De critiquer, me direz-vous.

Mais pourquoi tant de critiques de vin critiquent si peu, certains même jamais?
  Pas de place pour critiquer, on ne parle que de ce qui est bon, nous répond-on!

Critiquer c’est mettre en relief les qualités et les défauts, nous dit Antidote.
Lorsqu’on ne parle que des qualités ou de ce qui est beau et bon, ce n’est pas de la critique, mais de la louange.

Des sommeliers, des amateurs de vin nous reprochent de dire quelquefois qu’un vin est mauvais, bouchonné ou défectueux. Ils préfèrent qu’on retourne la bouteille et qu’on se taise.

Le rôle du sommelier est de vendre du vin; celui du journaliste est tout autre. Il doit décrire la réalité, décrire ce qu’il constate.

Pour informer, il faut dire le beau et le moins beau, n’est-ce pas?

Que dirait-on des critiques de cinéma, de théâtre, de restaurants, de livre, d’auto, de sport qui ne parleraient que des bons films, des bons restos, des bonnes pièces de théâtre?

La critique est requise de servir quatre maîtres différents, qui tous veulent lui imposer ses règles. Alors que sa raison d’être est ailleurs.» (Tiré de À quoi sert la critique de cinéma)

Dans le monde du vin, est-ce que tout est beau et bon?
Un vin est bon, on le dit, on le vante. Le millésime suivant est médiocre, on n’en dit mot.
Un nouveau vin est lancé sur le marché, il est bon, on le dit. L’année suivante, on met de la bibine derrière la même étiquette, alors silence!

C’est donc la vie en rose. On a des lunettes roses. C’est Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil. Allélouia!

Dire du bien d’un vin c’est facile, en dire du mal, c’est plus difficile. (Un vigneron du Québec m’a déjà dit ne jamais m’approcher à moins d’un kilomètre de son vignoble!)

On critique tellement peu dans le monde du vin que lorsqu’on lit quelqu’un qui critique, on est tout surpris, alors que ça devrait être la règle. (Exemple Rosons le rosé).

Pourtant, on ne doit pas avoir peur de critiquer. Car, l’on sait très bien que le critique n’est pas infaillible. «C’est plus la diversité des opinions que nos vaines tentatives personnelles d’atteindre l’objectivité parfaite, qui peut aboutir à une forme d’objectivité», dit Hervé Lalau.  

On comprend que dans les revues de vin, on ne peut pas critiquer, car elles sont financées par des compagnies de vin qui noyautent leur espace publicitaire. Mais pourquoi si peu de critiques dans les journaux, à la radio, à la télévision et sur internet? De quoi a-t-on peur?

On lit très peu de critiques de vin, on lit surtout des louanges. Sommes-nous des critiques de vin ou des louangeurs de vin?
Est-ce le règne de la facilité?

On comprend que les sommeliers lorsqu’ils s’improvisent chroniqueurs louangent les vins. Ils ont été formés ainsi. «Le but d’un sommelier est de faire plaisir au client», dit le maître sommelier Gérard Basset. Mais les autres, les journalistes, pseudojournalistes et chroniqueurs vinicoles, pourquoi ne disent-ils toujours que du bien de tous les vins?

À croire que les mauvais vins n’existent pas, qu’il n’y a pas de vins bouchonnés, jamais de vins trop boisés, trop verts, trop acides, trop doucoureux, trop amers…

Pourtant, dans la réalité, on en voit, même beaucoup trop. 

Certains disent qu’il ne faut pas nommer les vins bouchonnés parce que ce n’est pas la faute du vigneron! Mais qui donc choisit et met le bouchon?

Le critique doit renseigner et non pas faire la promotion.
Une première bouteille est bouchonnée, on la retourne et on décrit la deuxième bouteille sans mentionner que la première était bouchonnée. Ce n’est pas dire toute la vérité.

Si un vin est bouchonné, oxydé ou a tout autre défectuosité, il faut le dire. Ainsi, on averti le consommateur qu’il peut tomber lui aussi sur une telle bouteille; et si le producteur est à l’écoute, il pourra acheter de meilleurs bouchons.

Pourquoi est-ce si difficile de dire la réalité?

Terminons sur une citation tirée du monde de la critique culturelle:

Le discours critique contemporain contient typiquement des éléments de trois natures : descriptifs, analytiques (fournissant un contexte interprétatif pour comprendre l’œuvre) et évaluatifs (sous la forme de jugements positifs ou négatifs). Cette dernière dimension invite le lecteur à cultiver une relation affective avec le journaliste-critique (par opposition au journaliste-reporter), impliquant la confiance, au risque bien sûr de l’antipathie.» (Le rôle de la critique de presse dans le champ de l’industrie culturelle)

Lire aussi De mauvais vins, mars 2012;  Toutes les critiques sont positives, mars 2014; Métier critique, livre de Catherine Voyer-Léger, Éditions Septentrion, 2015 et Un critique qui ose critiquer, 2016