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Peut-on comparer les notes des journalistes de différents pays?

Pas vraiment!
On s’étonne souvent des notes et des descriptions très différentes données à un même vin par des journalistes et chroniqueurs de différents pays.

Pourquoi un Château de Beau-Mélange obtient-il une note supérieure aux États-Unis, une note moyenne au Québec et une note inférieure en France?

La réponse est bien simple, il ne s’agit tout simplement pas du même vin. Même si les bouteilles ont la même étiquette, elles ne contiennent pas toujours le même vin.

Il y a plusieurs explications à ce phénomène:
Les cuves spécifiques aux marchés distincts;
L’embouteillage à la demande;
Les échantillons.

Les cuves spécifiques aux marchés

Des producteurs font des cuves différentes en fonction des marchés. Il y a deux raisons principales à cela. Soit que la quantité de vin produite dans une région soit trop petite pour satisfaire tous les marchés. C’est le cas, entre autres, de la fameuse Fumées blanches du groupe Lurton. M. François Lurton nous dit que le Fumées Blanches vendu au Québec provient des Côtes-du-Tarn, alors que celui distribué dans le nord de l’Europe est fait de raisins achetés dans d’autres régions de France.

D’autres producteurs font des mélanges à la demande. Prenons l’exemple non fictif d’une grande firme d’Amérique latine qui veut présenter un de ses vins au Québec. Elle envoie cinq échantillons, cinq assemblages à son agent à Montréal. L’agent choisit un échantillon en proposant à l’exportateur de lui faire un vin moins boisé, moins tannique et moins confituré, et lui demande de soumettre d’autres échantillons qui correspondraient au goût recherché. L’agent finit par choisir le type de vin qui se vendra le mieux au Québec. Le produit aura donc le même nom qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais ne contiendra pas le même vin.

Les marchés sont variés, les goûts des consommateurs sont aussi différents. Des exportateurs produisent des vins pour les Américains, les Européens et les Asiatiques.

Certains producteurs de l’Amérique latine font des cuvées de type Nouveau Monde et de type Ancien Monde. On note le même phénomène en Europe depuis assez longtemps.

Les cuvées Nouveau Monde sont moins acides, plus sucrées, plus confiturées et plus colorées.

Les cuvées Ancien Monde ont un pH plus faible, moins de sucre, moins d’alcool.

La situation du marché québécois est particulière, car certaines entreprises nous envoient leurs cuvées de type Nouveau Monde, alors que d’autres jugent que notre goût est plus de type européen.

La différence peut aller très loin. Même la bouteille peut être originale, comme la fameuse quille du Beaujolais Duboeuf faite pour le marché québécois.

Les taux de préservatifs, soufre, anhydride sulfureux, et le type de bouchon peuvent varier aussi. Je déguste aussi régulièrement à Ottawa, et je constate souvent que des vins de même étiquette sont bouchés par des capsules à vis à la LCBO et des bouchons de liège ou de plastique à la SAQ.

L’embouteillage à la demande

Une autre situation qui explique les différences est la longue période d’embouteillage. Certains viticulteurs essaient d’embouteiller toute leur production assez rapidement afin d’homogénéiser le vin. Mais cela coûte très cher, exige des cuves appropriées aux mélanges de grandes quantités, demande d’immenses chaînes d’embouteillage et surtout de vastes espaces de stockage.

Il faut avoir goûté les vins à la barrique ou à la cuve, pour voir les variations énormes entre chaque barrique. Chacune a sa propre vie microbienne, ses variations de température. La fermentation ne se fait pas au même moment et de manière semblable dans toutes les cuves.

D’autres producteurs embouteillent donc à la demande. Il peut se passer plusieurs jours, voir plusieurs semaines et même des mois avant le début et la fin du processus. On peut donc comprendre que la bouteille no 1 soit très différente de la bouteille no 256 897.

Au Québec, le deuxième arrivage d’un vin peut même être très différent du premier dégusté quelques mois plus tôt, comme nous l’avons constaté souvent.

Les échantillons

Voilà pour la production. Étudions maintenant la mise en marché, le contact avec les journalistes. La situation au Québec et en Ontario — États de monopoles — est très différente de celles de marchés libres de l’Europe et des États-Unis. Ici, les bouteilles dégustées, commentées, jugées et notées par les chroniqueurs canadiens proviennent de nos monopoles d’État. Elles sont étiquetées et parfois timbrées [pour la restauration].

Ce n’est pas le cas en Europe et aux États-Unis. Là-bas, les chroniqueurs de vins s’adressent directement aux producteurs et leur demandent des échantillons.

La tentation est alors très forte pour les vignerons de choisir des vins provenant des plus belles parcelles et des plus beaux fûts.

Je demandais un jour à un producteur réputé de la Loire s’il choisissait au hasard des bouteilles dans sa cave pour envoyer aux chroniqueurs. Voici ce qu’il m’a répondu : «je suis certain que mes voisins concoctent de très belles bouteilles afin d’obtenir de belles notes des journalistes de Paris.»

Il faut dire qu’une mauvaise note peut être catastrophique pour l’entreprise. Le vigneron a quand même une famille à faire vivre.

Il en est de même aux nombreux concours, où ce sont les producteurs eux-mêmes qui choisissent les bouteilles qui seront jugées.

Une grande firme de Nouvelle-Zélande, Wither Hills, a d’ailleurs perdu deux médailles d’or dernièrement en envoyant à un concours des bouteilles de sauvignon différentes de ce que le consommateur pouvait acheter sur le marché.

Conclusion

Cette situation n’est pas unique au vin. Certaines années, la bière Guinness en canette provient d’Irlande, alors que celle en bouteille est faite au Québec.

Je fus fort étonné lors de mon premier voyage en France de constater que la cigarette Gauloise ne goûtait pas du tout la même chose là-bas. Celle qui était vendue au Québec était produite à Louiseville en Mauricie!

Donc, il peut être difficile de s’y retrouver et de comparer les notes des chroniqueurs de vin d’un pays à l’autre. Des vins très dissemblables peuvent porter le même nom. Le liquide peut provenir de barriques différentes et même de régions diverses. C’est surtout le cas pour les entreprises de grandes capacités.

Alors, il faut être prudent. Il vaut mieux se fier aux chroniqueurs qui sont sur votre marché et qui dégustent les vins que vous pourrez trouver sur les tablettes de nos chers monopoles.

Prenons donc un verre de Château de Beau-Mélange à notre santé!

  Lire aussi Un même nom? Oui. Un même vin? Non. Les cuvées kermit Lynch, avril 2010