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Les primeurs de Bordeaux de la frime ou non?

L’opération de dégustation et de vente en primeur des vins de Bordeaux qui a lieu tous les mois d’avril, est-ce sérieux ou de la frime?

On entend et on lit de plus en plus de critiques sur cette opération qui attire une centaine de journalistes et près de 5000 acheteurs qui se précipitent sur la place de Bordeaux pour goûter les vins jeunes de 6 mois et encore en barrique.

Le chroniqueur Stephen Brook y va d’une charge à fond de train dans le supplément Bordeaux 2007 de la revue Decanter.

Une arnaque

Dans un article au titre percutant «Is en primeur a scam?» – une arnaque – il écrit que les vins présentés en dégustation chaque printemps ne sont pas nécessairement représentatif de ce que sera leur assemblage final. «Dans l’année qui suit, le vin sera vieilli dans le chêne, ce qui modifiera sa saveur et sa texture. De plus, on pourra ajouter du vin de presse. Il pourrait être oxygéné, stabilisé à froid, filtrer, tous des processus qui modifieront le vin.»

Il ajoute de plus qu’il n’y a aucun contrôle sur les échantillons soumis aux dégustateurs. Donc, la possibilité de tricher est très grande selon lui.

La tentation de prendre l’échantillon dans la meilleure barrique est alors très forte.

Brook fait remarquer que les producteurs font vieillir leur vin dans des barriques provenant de nombreux fournisseurs. Est-ce que l’échantillon provient de toutes ces barriques? Nous n’avons jamais la réponse, dit-il.

Donc, «le vin présenté n’est qu’une approximation de ce qu’il sera.»

Il met aussi en garde le consommateur sur le fait que de nombreux rédacteurs (la majorité) ne dégustent pas à l’aveugle. Donc, ils sont influencés par l’étiquette.

Enfin, les producteurs de grands crus ne présentent pas leur vin. Il faut aller les déguster au château devant le sourire et les commentaires élogieux et incessants du propriétaire.

Il conclut en disant «Hold Back!» Retenez-vous jusqu’à ce que vous ayez l’occasion de goûter avant de placer une commande.

« Le système en primeur est conçu pour transférer un grand montant d’argent de vos poches dans celles des riches propriétaires et marchands de Bordeaux le plus tôt possible.»

Une arnaque, non

Cet article est suivi dans le magazine par une réponse de son collègue Steven Spurrier qui dit préférer déguster en voyant l’étiquette parce que ce qui est le plus important, selon lui, c’est le pédigri du château «the past form of the château». C’est comme juger un cheval de course, note-t-il. Ce qui importe c’est l’historique du château et l’information sur le millésime. «L’entraînement et le jockey maximiseront le potentiel, c’est tout. Comme avec le claret, c’est l’écurie qui a le plus d’argent qui produit les meilleurs chevaux.»

Il affirme qu’en connaissant le profil du vin, du château – ce qu’il appelle «the form» – qu’il peut rendre un jugement plus valide que ces collègues Jancis Robinson et Michel Bettane qui jugent à l’aveugle.

À la fin des deux articles, on est invité à aller réponde à la question «Is the en primeur system flawed?» sur le site decanter.com. Au moment de publier cet article, 50 % disent oui et 20 % non.

Une formidable machine

RVFLe magazine La Revue du vin de France aborde le même sujet dans son édition de juin. Sous le titre «Bordeaux: dans les coulisses des primeurs», Jérôme Beaudouin écrit que « la semaine des primeurs demeure la plus formidable machine de relations publiques mise en place dans le monde du vin. »

Il rappelle que l’idée de cette opération est venue de l’Union des Grands crus (fondé en 1973) au lendemain du scandale Cruse. À la première, en 1984, il n’y avait qu’une centaine d’acheteurs. Maintenant il y a plus de 5000 professionnels et une centaine de journalistes. Chaque producteur de vin doit donc réserver deux barriques, 700 bouteilles pour les dégustations.

«Il faut donc que les vins se présentent au mieux de leur forme en cette période, quitte à les  »muscler » un peu pour qu’ils ne fassent pas pâle figure face aux concurrents.  »C’est vrai, nous avons tendance à bichonner certaines barriques avant les primeurs » reconnaît un viticulteur anonyme.»

Le journaliste cite Jancis Robinson du Financial Times «Nous observons effectivement qu’un certain nombre de châteaux proposent des échantillons améliorés». La RVF dit procéder à une seconde dégustation des vins mis en bouteille, le tout publié en septembre. 

Que pensez alors de ces notes qui ressortent lors des opérations de vente de ces vins par le Courrier vinicole de la SAQ et celui de la LCBO? Lorsque nos deux monopoles mettent en vente les vins primeurs, ils publient des notes des dégustateurs qui ont goûté ces vins de 6 mois.

Est-ce sérieux tout ça?

Les négociants de Bordeaux se disent déçus de ces critiques de la presse. Voir à ce sujet l’acticle du 20 juin Negociants dismayed by UK and US reaction to Bordeaux En Primeur 06, sur le site de Decanter. Ils réagissent ainsi à la critique de Jancis Robinson du 15 mai Jancis Robinson: ‘I hope 2006 fails’.