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LE VIN DU SACRIFICE

    Jésus commença sa vie publique à Cana en changeant l’eau en vin. Il la termina par la grande cène du cénacle : «ceci est mon sang! » En instituant l’eucharistie, le Christ inventait le vin de messe. Pour les catholiques, le droit canon exige un vin «naturel», c’est-à-dire fait de jus de raisins frais fermenté. Il peut être blanc ou rouge, sec ou doux. Il n’y a pas de règle quant au degré alcoolique, à la condition que ce degré soit obtenu naturellement par la fermentation. Les vins additionnés d’alcool, les vins vinés, sont donc interdits à la sainte Table.

    Au Québec et en Amérique, le vin de messe est le plus souvent blanc et doux. Le rouge commence cependant à faire quelques adeptes dans les sacristies. L’Europe, elle, hésite. Le rouge y a toujours été en odeur de sainteté, mais le blanc gagne du terrain depuis quelques années. Le quatrième concile du Latran (1215) avait pourtant décrété que le vin de messe pouvait être blanc, pour la bonne raison que le vin blanc est moins salissant que le rouge pour les linges d’autel!  Le rouge est cependant toujours resté très populaire auprès du clergé. La tradition en remonterait aux pèlerinages à Saint-Jacques-de-Compostelle. Les monastères et les abbayes, dans lesquels les pèlerins faisaient étape, Madiran ou Cahors par exemple, de même que le tinto servi dans les auberges espagnoles, contribuèrent à la renommée des vins rouges charpentés.

    Blanc ou rouge, il n’y a, pour le célébrant, aucune obligation canonique. Cependant, si le prêtre choisit un vin blanc, ce sera un vin doux de préférence. S’il préfère un rouge, il choisira un vin solide, dans la tradition des vins noirs de Cahors. La raison en est simplement que le vin de messe se déguste coupé d’eau. Les deux liquides contenus dans les burettes sont mélangés dans le calice, juste avant la consécration. Il n’y a là-dedans aucune symbolique ou métaphore christologique. Par tradition, l’Église ne fait que perpétuer ainsi la nécessité qu’avait toute personne contemporaine des premiers chrétiens de diluer d’eau, avant de le boire, le vin de l’époque qui était de consistance très épaisse. Aujourd’hui, cela n’est plus nécessaire, seule l’expression mettre de l’eau dans son vin est restée.

    Coupés d’eau, un petit blanc sec ou un petit rouge léger donneraient un bien triste vin à boire. Un généreux liquoreux ou un rouge massif supportent mieux le coupage. C’est essentiellement pour cette raison que les officiants préfèrent ces derniers aux premiers.

    Aujourd’hui, le Vatican reste fidèle au rouge. Par exemple, la chapelle privée du pape est approvisionnée en vin de Carmignano, une appellation voisine du Chianti. Il faut cependant savoir que ce vin est offert gratuitement au Saint-Père par les producteurs de cette appellation. Sans émettre de doute quant à la piété de ces généreux donateurs, on peut aussi se demander si ce don ne cache pas quelque manœuvre, plus ou moins byzantine, pour faire pièce aux producteurs de vin blanc qui gagnent du terrain sur les autels de toute l’Europe catholique.

    Pour ce qui est de nos frères séparés, l’Église anglicane est plus ouverte que la Romaine pour ce qui est du choix du vin de messe. Les ministres protestants peuvent jeter leur dévolu sur toutes sortes de vins, même des vins mutés, de style porto par exemple. Une paroisse anglicane consomme beaucoup de vin, la communion s’y donne sous les deux espèces, le pain et le vin. Au Canada, pour casser les prix, certains pasteurs font eux-mêmes leur vin maison ou, dans ce cas, serait-il plus exact de dire leur vin presbytéral.

    L’Église Unie prône le vin rouge. Dans certaines paroisses cependant, au Canada anglais surtout, les pasteurs soucieux de la santé de leurs ouailles ont adopté une mesure autrement plus radicale. Ils ont banni le vin pour le remplacer par du jus de raisin, sobriété oblige. Cette Église a su aussi s’adapter aux coutumes de peuples lointains. En Nouvelle-Calédonie par exemple, les fidèles communient au jus de noix de coco.

    Lors de son voyage en France, en 1716, un vin noir de Cahors, un vin doux à cette époque, fit grande impression à Pierre Le Grand, tsar de toutes les Russies. Il imposa ce vin au métropolite de Moscou et l’Église orthodoxe russe l’adopta comme vin de messe. Avec la révolution bolchevik, le vin français n’est plus importé en Russie. Les camarades ont cependant inventé un produit de remplacement qui porte le même nom que l’original, version russifiée, le kagor. Les orthodoxes grecs utilisent eux aussi des vins rouges. Un vin couleur sang est obligatoire pour rappeler le sacrifice du Sauveur.

    Les Juifs ne disent pas la messe. Boire du vin est cependant une tradition importante, surtout pour célébrer la Pâque. Les Juifs pieux, eux, ne doivent boire tous les jours que du vin casher. Les Juifs moins pratiquants sont moins exigeants pour ce qui est du vin de tous les jours. Cependant, pour célébrer la Pâque (Pessah), le repas rituel servi à cette occasion (le seder) ne peut être accompagné que par un vin qui doit être yayin mevoushal cascher lemehadrin pour Pessah, c’est-à-dire qui réponde aux normes les plus élevées du cascherouth, les règles qu’il faut suivre pour que tout aliment soit casher.

    Pour garantir le tout, un rabbin doit superviser toutes les étapes de la production, de la plantation des ceps à la mise en bouteilles. Il doit s’assurer que toutes les étapes sont conformes aux règles du cascherouth. Celles-ci exigent d’abord que tous les travaux soient effectués par des Juifs pieux, c’est-à-dire qui observent le sabbat. La présence d’un non-juif qui toucherait le raisin ou le vin, au chai surtout, souillerait irrémédiablement le vin. De plus, seuls les raisins d’une vigne ayant au moins trois ans peuvent être utilisés; la vigne doit se reposer et rester en jachère une année tous les sept ans, c’est l’année sabbatique (la shmita); chaque année, un pour cent de la production. le maaser, doit être jeté à titre d’offrande (le tithe) en présence de rabbins et d’enfants en souvenir du kohanim, la dîme autrefois versée aux prêtres du Temple de Jérusalem. Enfin, le timbre officiel du rabbin est apposé sur l’étiquette et fait foi que le vin est véritablement cascher.

    Ce timbre est très important parce qu’un Juif orthodoxe, un Hassidim par exemple, ne considérera casher qu’un vin qui porte le sceau d’un rabbin de son obédience. Israël produit aujourd’hui des vins casher dont certains sont intéressants. Ce type de vin est aussi produit en Europe et en Amérique. Hors d’Israël, les règles du cascherouth ne sont cependant pas nécessairement appliquées avec la même rigueur.