Le commentaire de dégustation d’un réputé journaliste du vin se termine par ces mots «pour amateurs de vins boisés».
Mais est-ce qu’un «amateur de vin boisé» se perçoit comme étant justement un amateur de vin boisé?
Lors d’une dégustation de groupe dernièrement, j’ai assisté à une discussion animée entre une participante qui disait que tel bourgogne était peu agréable parce que trop boisé, pendant qu’un autre affirmait que le vin n’était pas boisé, mais qu’il avait tout au plus une petite touche vanillée qui ajoutait à la complexité du vin.
Celui qui aime
Celui qui aime ce vin qualifié de boisé par l’un ne se dit pourtant pas amateur de vins boisés.
Il y a boisé et boisé. Certaines personnes vont détecter facilement les notes de vanille, et aimer ou pas; d’autres ce sera la noix de coco, le fumé, le café, le chocolat, le pain grillé, le bois brûlé, le goudron, etc.
Des amateurs vont adorer les saveurs très vanillées de vins espagnols qui ont vieilli dans des barriques de chêne américain, mais ne vont pas aimer les vins américains.
Ces odeurs proviennent généralement du bois de la barrique et surtout de la chauffe de ce bois. On chauffe, on brûle plus ou moins fortement l’intérieur des fûts selon la saveur désirée. Quelquefois aussi, on utilise des fûts cannelés, on ajoute des copeaux dans les cuves, ou on y trempe des planches de chêne.
Si l’origine du chêne influence le goût du vin, le brûlage des douelles (aussi appelé bousinage) encore plus. Un brûlage faible permet au bois de transmettre un arôme très caractéristique de vanille. Moyen, il crée des aldéhydes pyromuciques qui donnent des arômes de pain grillé et libère de phénols qui donnent des arômes épicés tels le girofle ou la cannelle. Fort, il transmet au vin des arômes plus intenses de caramel et de fumée.
(Goûter le vin, Benoit Guy Allaire, 2009, p 72)
Il n’y a pas une odeur boisée, il y en a dix, il en en cent.
Pour amateurs de vins boisés sur Google
Je fais une recherche dans Google pour l’expression «amateurs de vins boisés», j’obtiens plus de 50 000 réponses!
C’est donc une expression très employée. Je vois même des références à Vin Québec dans cette longue liste. Je l’ai déjà employée.
Lorsqu’on dit qu’un vin est pour amateur de boisé, on laisse un peu entendre que c’est un vin qui ne nous plait pas parce que l’arôme ou la saveur boisée domine ou est trop forte pour nous.
Par contre, un autre consommateur ne trouvera pas que le boisé est excessif, aimera le vin et ne se décrira pour autant comme étant un amateur de vin boisé.
Accoutumance et l’intolérance
Il y a une quinzaine d’années lorsque ce même journaliste que je respecte beaucoup écrivait «un vin modérément boisé», je n’achetais ce vin, car je savais d’expérience qu’il serait trop boisé à mon goût. Je considérais alors ce chroniqueur comme étant un amateur de vin boisé et je suivais, et suis toujours ces recommandations de vins… non boisés. Il semble aimer beaucoup moins maintenant ces vins boisés.
Il y a deux phénomènes qui se produisent : l’accoutumance et l’intolérance.
Je lisais récemment dans la revue Cellier, les propos d’un vinificateur qui disait ne plus sentir les odeurs de cuverie. Le journaliste s’exclamait en entrant dans la cuverie que «ça sent le bon vin et aussi quelque chose de floral». Le vinificateur répondit : «moi je ne sens plus rien quand je viens ici.»
Dans certains cas, on s’habitue aux odeurs, on devient un peu insensible à certaines d’entre elles. On finit par ne plus les sentir ou par les aimer. Dans les cas extrêmes, c’est une protection, une défense. Imaginer ceux qui travaillent dans les porcheries, fort heureusement, ils en viennent à ne plus percevoir les fortes odeurs déplaisantes. Leur cerveau bloque ces informations malodorantes indésirables avant qu’elles n’atteignent le cerveau.
Dans d’autres cas, on développe une intolérance et une hypersensibilité. On détecte plus facilement les odeurs de bois dans le vin.
Herbe, pipi et pétrole
On peut noter le même phénomène pour d’autres types d’odeurs ou de saveurs. Les odeurs herbacées, végétales, pipi de chat, pétrolées, et d’eucalyptus peuvent devenir déplaisantes à la longue.
Personnellement, j’aime beaucoup les arômes de gâteau au chocolat, de moka dans le vin, mais je me demande si je ne suis pas en train de me lasser de telles odeurs qu’on retrouve de plus en plus.
Alors, l’expression «pour amateur de vins boisé» est peut-être utile à ceux qui ne sont pas amateurs de tels vins et qui éviteront ainsi de faire un mauvais achat. Mais est-ce qu’elle est utile aux personnes qui aiment ou qui ne détectent pas de manière si forte ce genre d’odeur?
Est-ce que ce serait aussi la même chose dans les cas des expressions «pour amateur de vins acides»,«de vins rouges sucrés», «de vins bodybuildés»?
De plus, lorsqu’un chroniqueur donne une note de «deux étoiles» (bon) à un vin qu’il qualifie de très boisé, est-ce que l’amateur de ce type de vin devrait lire «trois étoiles» (très bon)?