Vous sentez la fraise dans un vin. On vous a dit que ça venait de la fermentation du raisin. Mais si c’était plutôt l’odeur laissée par des traces de pesticides dans ce vin?
La même chose pour la pêche, la vanille, le bonbon anglais, le bonbon tagada, l’odeur de fumée et autres.
Vous avez une sensation d’astringence. On vous dit que ça vient des tanins et du bois. On vous apprend maintenant que ça peut aussi être l’oeuvre de certains fongicides.
Le vin est court, asséchant, la finale tombe vite, c’est amer ou piquant; ça pourrait être dû à l’action d’un restant d’herbicides dans le vin.
Est-ce que les pesticides ont un gout, une saveur, des aromes? C’est la question que se sont posée le biochimiste Gilles-Éric Séralini et son ami le chef cuisinier étoilé Jérôme Douzelet.
Une dégustation de pesticides
Pour répondre à cette question, ils ont décidé de «gouter les pesticides dans l’eau aux doses où ils sont dans le vin. Ils ont fait mesurer les quantités de pesticides dans 32 vins de France et d’Italie. Puis, ils ont choisi les pesticides les plus répandus dans ces vins et les ont mélangés chacun dans les mêmes quantités dans de l’eau. Eau qu’ils ont fait gouter à des vignerons, oenologues, sommeliers et cuisiniers.
Ainsi, ils ont trouvé une moyenne de 10 parties par milliard (10 ppb) de glyphosate dans 4 vins et ont alors versé 10 ppb de glysophate (un fongicide) dans le l’eau et l’on fait gouté à des professionnels du vin.
Sur deux ans, ils ont donc fait gouter 11 pesticides à 36 professionnels du vin, pour un total de 195 tests.
La plupart des vins bio testés ne contenaient pas de pesticides; mais tous les vins dits conventionnels en contenaient.
Des résultats étonnants
Les résultats sont surprenants. «Il exprime un gout de bonbon chimique doucereux évoquant la fraise Tagada, voire le bonbon anglais très souvent décrit dans des dégustations de vins.» C’est ainsi que s’expriment des dégustateurs après avoir gouté un verre contenant du fenhexamide à 500 ppb. Un pesticide vendu sous les noms de Lazulie et de Teldor.
On nous dit dans ce livre «qu’il est possible d’apprendre à reconnaitre le gout des pesticides, pour ensuite éviter les produits qui en contiennent.»
On y apprend aussi qu’on y traite des tonneaux de bois avec des fongicides, ce qui a donné deux fois plus de traces de pesticides dans un vin.
Après avoir conté ces expériences, les auteurs présentent à la fin de leur livre 11 fiches décrivant les pesticides retrouvés le plus souvent dans ces vins; boscalide, cyprodinil, diméthomorphe, fenhexamide, folpet et phtalimide, glyphosate et AMPA, iprodione, iprovalicarbe, pyriméthanyl.
Terrroir, levures et pesticides
Donc, il n’y a pas que le terroir, le cépage, la fermentation, les levures qui donnent un arome et une texture au vin. Les pesticides aussi «ont une influence sur le gout final du vin.»
L’industrie appelle ces produits des phytosanitaires ce qui signifie «qui soigne les plantes». En fait, ce sont des pesticides qui tuent comme dans homicide et suicide.
On trouve des «traces de pesticides» dans le vin à des doses 11 000 fois plus fortes que dans l’eau. Il n’y a pas de normes concernant le maximum permis dans le vin, mais seulement des limites maximales de résidus dans le raisin.
Les auteurs ont découvert que même de grands vins contiennent de bonnes quantités de pesticides, comme un grand pomerol 2009 (100 points Parker) à 400 euros qu’ils n’osent pas nommer.
Les doses limites des pesticides acceptables dans l’eau sont de 0,1 ppb, alors qu’on en trouve 2920 fois en moyenne dans les vins. «Ces doses rendent l’eau impropre à la consommation et pourtant ces bouteilles (de vin) sont partout en vente libre, il faudrait qu’on m’explique…» dit Jérôme Douzelet.
Et plus encore
Il y a bien d’autres choses dans ce petit livre de 142 pages. Je ne vous mentionne que ce qui m’a le plus étonné. On y parle aussi des métaux lourds dans le vin, de l’arsenic longtemps permis, des métabolites et des formulants encore plus dangereux que les molécules actives déclarés par les fabricants de ces pesticides. Il est particulièrement question du glyphosate qui cache la vraie toxicité des Roundups.
Utile et formateur
«Notre petit guide est salvateur pour la santé : si chacun découvre grâce à lui les goûts des pesticides indiqués par ses professionnels, il pourra les reconnaitre et éviter à long terme les mauvais produits qui en contiennent.»
Ce livre n’est pas une étude scientifique, selon les auteurs, «il se conçoit comme un outil original pour aider à découvrir et comprendre les goûts des ingrédients chimiques dont le milieu viticole n’est pas fier, ceux des pesticides.»
Donc, un petit livre-choc qui fera surement beaucoup parler. Rappelons que l’auteur principal, ce professeur de biologie à l’université de Caen, Gilles-Éric Séralini, est très controversé. C’est lui qui a publicisé en 2012 les dangers du Roundup de Monsanto. On a dit bien du mal de lui. Monsanto a fait écrire des articles par ses employés, mais signés par des scientifiques pour contrer les travaux de M. Séralini. Ce dernier a toutefois gagné ses 7 procès en diffamation. Voir à ce sujet l’enquête de deux journalistes du quotidien Le Monde «Informations génétiquement modifiées», octobre 2017.
Le goût des pesticides dans le vin
Et Petit guide pour reconnaitre le goût des pesticides
Jérôme Douzelet et Gilles-Éric Séralini
Éditions Actes Sud. 142 pages Janvier 2018.
14,80 euros, 10,99 euros en numérique.
Je l’ai téléchargé au format PDF chez Galimard Montréal, 19,99 $
Voir aussi le communiqué de presse d’Actes Sud.
Voir aussi une entrevue faite hier soir sur ARTE avec le professeur Séralini.