Goûter des vins pour son seul plaisir est chose facile, chacun fait rapidement le tri entre ce qu’il aime beaucoup, un peu, ou pas du tout. Les goûter pour les autres, pour ceux qui, comme vous, allez vous fier à notre description pour faire votre choix, est beaucoup plus exigeant. Alors, juger un vin, le noter, ne suffit pas. Il faut savoir le décrire, en toute honnêteté, avec assez de précision, pour que le lecteur puisse se faire lui-même une opinion la plus précise possible sur la qualité du liquide dans la bouteille convoitée.
Quand un vin plaît au chroniqueur, le séduit ou, parfois, l’impressionne, en parler d’abondance est non seulement chose facile, c’est aussi un plaisir. C’est le plaisir de faire partager notre joie au plus grand nombre, que nous invitons à faire, comme nous, une agréable découverte. Si le vin déçoit, c’est une tout autre histoire. Les mots viennent plus difficilement. La raison en est souvent que le chroniqueur trouve pénible de s’attarder en mauvaise ou en peu agréable compagnie. Il n’a qu’une envie et c’est de passer à autre chose, le plus vite possible.
La solution, celle de presque tous les chroniqueurs, est alors de passer sous silence les vins qu’ils estiment n’avoir que peu d’intérêt, même pour un amateur plus ou moins exigeant. Il y a tellement de bons et de beaux vins à faire connaître, pourquoi perdre son temps avec ceux qui ne méritent pas l’encre nécessaire à les dénigrer.
Je suis partisan de cette théorie. Pourtant, parfois, il faut malgré tout déroger à ses principes. Surtout quand des « vedettes » sont annoncées et qu’elles ont déçu. Il faut alors prévenir l’acheteur de ne pas se précipiter sur une étiquette renommée, qui risque fort de le décevoir quand il ouvrira le flacon.
Dans le prochain arrivage ontarien, plusieurs vins, surtout français, ne sont vraiment pas dignes qu’on s’y attarde. On se demande même comment il se fait que quelqu’un à la LCBO ait pu acheter des vins si mal faits. Peut-être est-ce parce que certains portent une jolie étiquette. Je plains ceux qui se laissent séduire si facilement. Le dessin de l’étiquette, aussi original soit-il, n’est pas un critère d’achat.
Dans le lot, l’étiquette la plus originale est certainement celle de la Syrah-Sirrah, Domaine des Blagueurs, vin de pays d’Oc, 2003 (15,95 $). Ce vin risque aussi d’attirer l’attention parce qu’il porte la signature du célèbre Rhone Ranger américain, Bonny Doon. Ce producteur semble avoir un talent fou pour trouver des noms rigolos à ses vins, mais beaucoup moins de talent pour faire du vin sérieux. Le bouffon sur l’étiquette ressemble peut-être trop à une mauvaise farce.
L’autre vedette française de l’arrivage est Château Fortia, Cuvée Baron, Châteauneuf-du-Pape, 2003 (38,95 $). Decanter Magazine lui a donné quatre étoiles sur cinq. Difficile de comprendre cet enthousiasme, que nous sommes loin de partager. La robe est cerise, sans profondeur. Le nez est peu développé, discret. On perçoit néanmoins la fraise, la crème et la vanille, avec des notions sucrées. Rien de renversant. En bouche, l’attaque est très fruitée. Le vin est gras et remplit bien la bouche. Le problème est que tout cela s’écroule très vite pour laisser place à une ingrate astringence. Ce vin se révèle bien mal équilibré et cela n’en fait vraiment pas une réussite.
Heureusement, de bien meilleures choses nous sont offertes dans cet arrivage. De l’Italie, un vin des Pouilles qui sort des sentiers battus. Le Pier delle Vigne, IGT, Brotomagno, 2000, (17,95 $), au premier abord, ne paie pas de mine. Sa robe est défraîchie, presque tuilée et très pâle. Le nez est déroutant. Un cognac ? Non, un tawny ! C’est que le vin est oxydé, mais n’est pas pour autant détruit. Il offre un bouquet de petits fruits secs, avec des nuances de rancio. La bouche surprend, elle est tout en fraîcheur et le fruit a bien résisté à ce début d’oxydation. Le vin présente surtout un bel équilibre auquel contribuent des tannins d’une grande finesse. Une jolie longueur finit de nous convaincre. Un vin étonnant et pourtant réjouissant. À boire rapidement quand même.
Un autre italien, encore meilleur, a aussi retenu notre attention. Il s’agit d’un Vino Nobile di Montepulciano, le Lodola Nueva, 2000, de Ruffino (24,95 $). La robe est légère, mais le nez très présent où le fruit est expressif. La vanille n’est pas absente, mais le bois (grillé) complète la palette aromatique sans rien gâter. En bouche, ce vin est une petite jouissance. Un fruité explosif, sans aucune lourdeur. Il y a juste ce qu’il faut d’acidité pour assurer une belle fraîcheur.
De l’Australie, une déception. Le Cabernet Sauvignon, pressurage en panier, McLaren Vale, 2002, de Château Reynella (29,95 $). Ce n’est pas un vin mal fait, loin de là. Il est même plutôt réussi, pour ceux qui aiment les gros vins du Nouveau Monde. Notre déception vient que nous aimons les vins de cette maison depuis longtemps, surtout pour leur élégance à la bordelaise. Or, nous ne le reconnaissons plus dans ce nouveau millésime. Il a perdu son caractère européen et semble devenu un Australien comme les autres. Dommage !
Pour terminer sur une plus belle note, un petit bijou à prix dérisoire. Le Castelao, Touriga Nacional, 2002, de Quinta Lagoalva (12,95 $). La robe est celle d’une pauvre et humble fille. Surprise, elle sent bon les petits fruits rouges à croquer dedans. Le nez certes n’est pas d’un grand aristocrate, il est même un peu fermier et fleure la crémerie. Il faut mordre dans ce liquide pour constater une bouche savoureuse, de la matière, mais sans excès. Du fruit et de la rondeur. Vin charmeur, qui ne manque pas de sérieux.
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