«Pourquoi acheter un journal quand on peut acheter un journaliste.»
Bernard Tapie
Dans les années 1970-1980, l’information sur le vin au Québec était l’oeuvre d’émigrés français passionnés qui voulaient nous transmettre leur passion du vin de France.
Puis ces passionnés ont fait place à des communicateurs, des sommeliers, des journalistes du cru captivés par les vins du Monde.
Aujourd’hui s’y ajoutent des passionnés de tout horizon qui communiquent dans internet.
Journalistes, chroniqueurs, blogueurs sont sollicités par l’industrie du vin pour communiquer «favorablement» sur le vin.
D’un autre coté, le consommateur de vin et d’information sur le vin s’abreuve dans les journaux, magazines, sites internet et depuis peu sur les réseaux sociaux.
Le problème de crédibilité du communicateur-journaliste se pose avec plus d’acuité puisque l’information devient diverse et que le consommateur est de plus en plus averti, conscient et expérimenté.
Il y a plusieurs manières «d’acheter un journaliste», disait l’homme d’affaires français Bernard Tapie.
En effet, il y a toute sorte de moyens d’influencer un journaliste, de se l’attacher. Les agents de presse des organismes commerciaux sont devenus des experts en la matière. C’est leur travail.
Il revient donc aux journalistes ou à ceux qui se disent journalistes (ou à ceux qui ne se disent pas journalistes, mais que le public ou le commerce appelle journalistes) à se protéger, à ne pas se faire acheter, attacher par les acteurs du monde du vin.
Journaliste, chroniqueur, critique
Le travail de chroniqueur de vin s’apparente à celui de chroniqueur ou critique de restaurant, de critique de livre, de cinéma, de théâtre, de chroniqueur politique. C’est du domaine du journalisme, du journalisme d’opinion, puisque son sujet relève du goût, de son goût et de celui du vin.
Toutefois, même s’il relève de l’opinion, le public s’attend à ce que cette opinion du chroniqueur vin (comme du chroniqueur politique ou de cinéma) soit sincère, libre, et relève vraiment de lui et non d’un commanditaire.
Pour bénéficier de la crédibilité du public, le chroniqueur ne doit donc pas apparaitre en conflit d’intérêts.
Sans supervision, sans encadrement
Ceci est encore plus important aujourd’hui dans ce monde de l’information éclatée. Une bonne partie de l’information ne provient plus des grands médias bien organisés ou le journaliste est entouré de collègues et encadré par un rédacteur en chef; mais souvent de journalistes, journalistes indépendants, chroniqueurs, de correspondants spéciaux, de collaborateurs spéciaux qui travaillent seuls, souvent sans appui, sans supervision, sans encadrement…
Ce n’est pas plus mal, mais les dangers sont plus grands.
De nombreux chroniqueurs de vin d’aujourd’hui ne proviennent pas des médias, n’ont pas de formation journalistique. Ils viennent de la sommellerie, de la restauration, du marketing, du monde vinicole et d’autres sphères d’activité plus ou moins éloignées des métiers de l’information.
Cependant, ils ont plusieurs points en commun: ils veulent diffuser de l’information sur le vin de manière crédible.
Entre les deux
Ce monde des communications sur le vin est divisé en trois comme dans tout modèle de communication journalistique. D’un côté le consommateur et de l’autre l’industrie du vin; et entre les deux le journaliste, chroniqueur, critique de vin.
L’industrie du vin est son sujet (du journaliste); le consommateur son public.
Pour être crédible, pris au sérieux, pour ne pas être en conflit d’intérêts, le chroniqueur doit respecter un certain nombre de règles. Un code. Un code d’éthique, appelé aussi code de déontologie.
Il n’y a pas à proprement parlé de code d’éthique spécifique au monde du journalisme vinicole. On s’attend à ce que s’il suive les mêmes règles que tous les autres journalistes, puisqu’on le dit journaliste. On ne veut pas le confondre avec les relationnistes de presse, les publicitaires et les agents commerciaux.
Voici donc une ébauche, un petit guide de déontologie appliqué à la communication journalistique sur le vin.
Il n’est pas inventé de toutes pièces. La roue existe déjà. C’est tout simplement une adaptation du Guide de déontologie de la Fédération des Journalistes du Québec, inspiré du livre Question d’éthique d’Henry Aubin et.al. et particulièrement du chapitre sur les conflits d’intérêts de ce dernier; ainsi que des règles d’éthique du chroniqueur vin américain Robert Parker.
Il ne s’agit pas ici de juger les actes passés de la profession, mais de se doter de règles de conduite saines pour l’avenir afin d’éviter d’être en conflit d’intérêts.
Ce guide est aussi un outil qui permet au public consommateur de jauger la crédibilité des critiques de vin.
GUIDE D’ÉTHIQUE DU JOURNALISTE, CHRONIQUEUR, CRITIQUE DE VIN
1. Rôle du journaliste du vin
Le rôle essentiel du journaliste, chroniqueur et critique de vin est de rapporter fidèlement, d’analyser et de commenter les faits qui permettent aux consommateurs de mieux connaître et de mieux comprendre le monde du vin.
2. Chroniqueur ou journaliste
C’est la même chose dans l’esprit du public. Le public, les organismes vinicoles nous appellent journalistes.
3. Devoir
Le journaliste du vin comme tous les autres journalistes a le devoir de défendre le droit du public à l’information.
3. Intérêt
Son intérêt est celui du public et non des intérêts personnels ou particuliers. Il doit publier ce qui est d’intérêt public.
4. Rigueur et conflit d’intérêts
Il doit considérer son rôle avec rigueur et préserver sa crédibilité. Il ne peut pas dénoncer les conflits d’intérêts chez les autres et les accepter dans son propre cas.
5. Le public visé
C’est le consommateur et non les vignerons ni les acteurs de la filière viticole.
6. La publicité
Le journaliste ne fait pas de publicité, ne fait pas de publireportage.
7. Représentation et discours rémunérés
Le chroniqueur vin ne fait pas de représentation pour les fabricants de vin. Il n’est pas l’ambassadeur d’une région vinicole, d’une appellation, d’un cépage. Il ne marchande pas son expertise. Il ne se fait pas payer par une association vinicole pour parler des vins de leur région. Il n’accepte pas de donner des discours rémunérés par la filière vinicole. Il ne donne pas de conférence payée par l’industrie. Il ne vend pas ses notes, ses commentaires, ses critiques, ses articles aux marchands de vin.
8 Cadeaux et gratifications
Le journaliste vin comme les autres journalistes refusent les cadeaux, les faveurs, les sièges aux loges corporatives, les billets pour les spectacles de sports ou autre…
9. Échantillons et voyages
Il accepte des échantillons de vin, des livres sur le vin dans le seul but d’en faire la critique.
S’il accepte les voyages payés, il doit le mentionner dans ses articles et bien indiquer qui a payé quoi.
10. Recevoir de l’argent
Il ne demande pas ni n’accepte d’argent des producteurs de vin, de leurs représentants ni de vendeurs de vin.
11. Actionnaire et employé
Un journaliste vinicole ne peut détenir d’actions, de parts, ni être propriétaire d’une entreprise qui fabrique, vend, distribue ou fait la promotion du vin. Il n’est pas non plus un employé d’une telle entreprise. Il est bien entendu qu’il ne vend pas de vin.
12. Prix de journalisme de l’industrie
Un journaliste vinicole ne doit pas accepter de prix de journalisme donné par l’industrie vinicole et il doit être très prudent s’il participe comme juré à des concours organisés par l’industrie.
13. Conseiller des viticulteurs
Il ne travaille pas pour l’industrie et ne doit pas accepter de leur donner des conseils rémunérés. Il ne fait pas de travaux pour le compte de l’industrie vinicole.
14. Amitié
Il ne fait pas de reportage sur le vin, le vignoble d’un ami, d’un parent. Le journaliste du vin n’est pas «l’ami des vignerons».
15. Journaliste toujours
Un journaliste agit toujours en journaliste et ne peut un jour faire un travail de non-journaliste et revenir le lendemain et prétendre être journaliste.
16. Indépendance
Il se tient à une longueur de bras et d’épée des agents de presse de l’industrie vinicole.
17. Critique
Le critique de vin ne doit pas s’abstenir systématiquement de critiquer les vins qu’il juge mauvais. Le public a aussi droit à cette information.
18. Approbation par les sources
Le journaliste ne soumet pas ces reportages à ses sources avant de les publier ou de les diffuser.
19. Sources peu familières avec la presse
Le journaliste doit informer ses sources et contacts peu familiers avec la presse que leurs propos pourront être publiés ou diffusés.
20. Internet
Le journaliste qui publie en ligne dans internet doit respecter les mêmes règles énumérées précédemment.
21. Médias sociaux
Le journaliste exerce le même discernement dans l’utilisation des médias sociaux que dans l’ensemble de sa pratique.
Inspiré de :
Questions d’éthique, Henry Aubin, Paule Beaugrand-Champagne, Jean-V. Dufresne, Louis Falardeau, Guy Lamarche, Armande Saint-Jean. Québec/Amérique 1991.
Guide de déontologie des journalistes du Québec, FPJQ, 1996, amendé en 2010.
Writer Ethics/Standards, Robert Parker.
Mise à jour mineure en février 2016