Le goût, c’est le goût du vin gras et sucré; le pouvoir, c’est celui de ceux qui propagent ce type de goût. Jonathan Nossiter aime les vins fins et délicats. Il n’aime pas les bombes de fruits. Il nous parle beaucoup des vins de Bourgogne dans ce livre.
Il s’en prend aux propagandistes de ce qu’il appelle les bombes sucrées, le vin-biberon, le vin-prozac. «Le citoyen du monde est devenu le consommateur mondial du facile et du sucré.» Il regrette que les gens n’aiment pas les vins acides et amers. «Notre culture nous encourage en effet par tous les moyens à demeurer infantiles, à ne pas affirmer nos goûts adultes, à nous conformer.»
Est-ce encore une guéguerre Bourgogne-Bordeaux? Pas vraiment, c’est plus intéressant que ça.
En parlant du Jugement de Paris de 1976
«Ce grotesque exercice pour écoliers anglais, auquel de naïfs professionnels français donnèrent malgré eux une légitimité, fut ensuite transformé par le nationalisme et l’intérêt économique américain en évènement majeur, lourd de répercussions. Ainsi le marché mondial se réorganisa-t-il autour des vins qui seraient destinés à faire tomber à la renverse les dégustateurs lors de compétition du même acabit, artificielles, obéissant à un système de notation pseudo-scientifique et continuant de légitimer la domination des vins à la Schwarzenegger ou à la Pamela Anderson.»
Le livre est surtout constitué de comptes-rendus d’entrevues faites lors et après le tournage de Mondovino. M. Nossiter est un artiste. Il aime bien les artistes du vin, les vignerons en biodynamie, les vedettes vinicoles de la Bourgogne.
Il fait aussi la tournée des cavistes de Paris qui vendent ses vins préférés, de certains restaurants genre attrape-nigauds pour snobinards.
Les serial noteurs
M. Nossiter n’aime pas certains critiques de vin. «Parker, le Wine Spectator et autres « serial noteurs » de la même trempe rassurent les gens qui le vin plonge dans l’incertitude mais qui veulent se comporter en « winners ».»
D’ailleurs presque à toutes les fois qu’il parle de Robert Parker, il glisse un mot sur George Bush. Il n’aime pas non plus les auteurs de la Revue du vin de France, Decanter «le plus éhonté de tous», le Guide Hachette, Dussert-Gerber «la pratique du copinage», ni Jancis Robinson «un outil du pouvoir».
«Les opportunistes, arrivistes et autres affamés du pouvoir et du statut sont légion, qui ont tout compris au grand jeu mondial du goût standardisé et du réseautage, et qui en tirent tous les bénéfices, financiers et sociaux.»
Il aime par contre les critiques de vin Michael Broadbent «modeste», Steven Brook, Oz Clark, Hugh Johnson et… Jonathan Nossiter.
En critiquant fortement ceux qui veulent imposer un goût (vin sucré), M. Nossiter semble vouloir aussi imposer son goût, celui du vin acide et amer. «L’acidité dans un vin est d’ailleurs, pour moi, comme la lumière dans un film. C’est la qualité qui anime le vin, qui le rend vivant.»
Mis à part, les chapitres qui semblent être un règlement de compte avec ceux qui ont critiqué négativement son film Mondovino, il y a quand même des sections intéressantes dans ce livre. Ce livre qui c’est aussi la quête du pays, du terroir, du père, de l’authentique.
C’est surtout un autre point de vue, et peut-être un deuxième goût et un deuxième pouvoir.
J’en ai trouvé la lecture fort intéressante.
Le goût et le pouvoir
Jonathan Nossiter
Grasset
22,5 X 14 mm
413 pages
ISBN 9782246694410