On croyait généralement que le goût sucré des vins secs était communiqué par l’alcool.
L’équilibre gustatif des vins repose sur sa structure tannique, son acidité et sa douceur, comme l’a si bien dit Émile Peynaud, l’auteur du livre Le Goût du Vin et nous l’ont répétés les oenologues qui l’on suivit.
On parle alors de sucrosité. «Or, dans les vins secs, les hydrates de carbone sont présents à des concentrations nettement inférieures à leur seuil de perception; la douceur ressentie correspond donc à une « sucrosité sans sucre »», nous dit Axel Marchal dans sa thèse de doctorat.
Pourtant, cette sucrosité contribue à la complexité des vins. On la perçoit. Elle est là. On la désire même. Car contrairement aux goûts acides et amers qui eux nécessitent un apprentissage culturel, le désir du sucré est inné.
On associait jusqu’à maintenant ce goût sucré à l’apport d’alcool.
Eh bien non! D’après la thèse de doctorat d’Axel Marchal, l’alcool c’est-à-dire l’éthanol et le glycérol ne communiquent pas de manière significative de goût sucré au vin.
M. Marchal a fait des tests en ajoutant de l’éthanol et du glycérol dans des vins et jamais les dégustateurs n’ont noté de hausse de goût sucré.
«L’analyse sensorielle a permis de montrer que l’éthanol et le glycérol ne possèdent pas d’impact sur la sucrosité».
Alors, d’où vient ce goût sucré que nous percevons dans des vins secs, des vins qui contiennent moins de deux grammes de sucre au litre?
Si ce n’est pas l’alcool, alors les levures?
«Les praticiens constatent en particulier une nette augmentation de la saveur sucrée des vins rouges pendant la macération post-fermentaire, qui est concomitante à l’autolyse des levures.»
Donc, notre chercheur a fait une autre série de tests en ajoutant des levures dans un vin sans nutriments afin qu’il n’y ait pas de reprise de fermentation. «Ces conditions reproduisent celles de la macération post-fermentaire». Résultat: plus on ajoute de levures, plus la sucrosité est perçue par les dégustateurs.
«Ces résultats nouveaux suggèrent la libération de composés de la levure au cours de la phase d’autolyse, modifiant la perception gustative des vins secs.»
Parmi ces composés, la protéine Hsp 12 procurerait un gain de saveur sucrée.
Cette protéine n’est pas seule à donner un goût sucré. Le bois est aussi en cause. On sait que des producteurs avaient réalisé qu’ils augmentaient la sucrosité de leurs vins en y ajoutant des copeaux de bois. Pourtant selon Axel Marchal «aucun composé non volatil à saveur sucrée n’a d’ailleurs été identifié jusqu’ici dans le bois de chêne.»
Le chercheur a alors fait dégusté quatre vins à 60 spécialistes (DUAD et ISW) provenant de quatre contenants: cuve inox, cuve bois 50 hl, barrique 1 an et barrique neuve. Les résultats sont significatifs: «l’élevage au contact du bois de chêne confère un supplément de sucrosité aux vins.»
Par contre, les tests de l’auteur ont démontré que les molécules volatiles telles la vanilline, la whisky-lactone et l’eugénol diffusées par le bois ne donne pas de goûts sucrés. Donc, il a cherché du côté des molécules non volatiles.
Axel Marchal a alors découvert des molécules non identifiées jusqu’à maintenant. Il les appelle Quercotriterpénosides. Certaines d’entre elles possèdent des saveurs sucrées. Deux de ces Quercotriterpénosides apportent une légère douceur et une sensation rémanente au vin. L’une d’elles augmente la sucrosité tout en diminuant l’acidité et l’amertume, ce qui donne une sensation douce et persistante en finale. L’autre diminue la perception acide en attaque et augmente la douceur.
En conclusion
Axel Marchal conclue sa thère en disant : «À notre connaissance, il s’agit de la première mise en évidence d’un lien entre une protéine de la levure et un caractère gustatif des vins.
Par ailleurs, nous avons montré que l’élaboration des vins sous bois de chêne participe à une augmentation de leur sucrosité.»
Donc, le goût sucré des vins secs ne provient pas de l’alcool, mais bien d’une protéine dégagée par les levures et de composés non volatils du bois.
M. Marchal précise sur le forum La passion du vin que «nous avons démontré que les levures et le bois de chêne contribuent conjointement à la sucrosité des vins secs. Par ailleurs, il existe vraisemblablement des composés non-glycosidiques à saveur sucrée provenant du raisin cette fois. L’étude de tels composés est notre nouvel objectif.»
Source: Recherches sur les bases moléculaires de la saveur sucrée des vins secs, Approches analytique et sensorielle, Axel Marchal. Thèse pour le doctorat en science de l’Université Bordeaux Ségalen Soutenue publiquement le 15 décembre 2010. Sous la direction de Denis Dubourdieu. (Document PDF de 16 pages sur le site de la maison Amorim)
Voir Axel Marchal qui résume sa thèse en vidéo à l’Université de Bordeaux (17 min 22)
Texte modifié le 28 juillet