De prime abord, le titre de cet ouvrage pourrait en inciter plusieurs à l’ignorer, sous prétexte qu’il s’agit là d’un énième bouquin sur la mondialisation du vin.
Pourtant, ce serait là une décision regrettable, car l’auteure, chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique à Ivry-sur-Seine, emprunte une perspective originale et fort stimulante afin d’interpréter les métamorphoses récentes du marché mondial du vin.
En effet, adoptant une approche ethnographique fortifiée par une lecture sociologique des lois du marché, M.-F. Garcia-Parpet voit dans la redéfinition même du sens du vin — de ce qu’il est comme produit de qualité, bien sûr, mais surtout, désormais, comme marqueur identitaire — une explication aux reconfigurations du marché mondial de ce produit.
Révolution culturelle
L’auteure ne soutient certes pas que cette dynamique n’a que des causes culturelles, mais elle considère que toute explication sérieuse de la recomposition du champ vitivinicole français et mondial doit réserver une place de choix aux facteurs que sont les valeurs et les perceptions, à commencer de celles et de ceux qui apprécient le vin. Posé autrement, le marché mondial du vin traverse une «véritable révolution culturelle» (p. 13, italique dans l’original).
Les dix chapitres de l’ouvrage se répartissent entre trois sections. La première décrit et analyse la conception traditionnelle du vin de qualité en France, une vision institutionnalisée (ou peut-être figée) par le système des «appellations d’origine contrôlées» (AOC).
Basé sur la valorisation de l’origine, de la tradition et du terroir, ce système a généré un certain obscurantisme auquel les vins du Nouveau Monde font écho. En effet, et c’est la problématique qu’explore la deuxième partie de l’ouvrage, ceux-ci ont pu s’imposer grâce à «une recomposition sociale de la demande allant de pair avec de nouveaux styles de vie et un nombre croissant d’œnophiles appartenant à des milieux sociaux ayant d’autres références culturelles [que françaises]» (p. 245)
France déclassée
Si la France a été déclassée dans l’espace vitivinicole mondial, c’est en raison du fixisme de son système des AOC, certes, mais aussi parce que le Nouveau Monde a saisi le malaise découlant de ce carcan et a su y proposer des alternatives (dont les fameux «vins de cépages», Chardonnay et Pinot noir étant sans aucun doute plus significatif pour Madame-et-Monsieur-tout-le-monde que Bougros ou La Grande Rue…).
Le paradoxe du Languedoc
La troisième partie explore l’expérience à la fois paradoxale et spectaculaire du Languedoc-Rousillon, une sorte de Nouveau Monde au sein même de l’Hexagone.
Espace traditionnellement méprisé par l’INAO, le Languedoc-Rousillon offre l’exemple de producteurs qui ont compris la nouvelle donne vitivinicole en place à la fin du siècle dernier, ont relativisé la valeur des AOC et ont misé sur l’excellence (bien souvent par le créneau des vins de pays).
L’analyse de Marie-France Garcia-Parpet est convaincante, éloquente voire incisive. Qui plus est, elle est d’actualité, en cela que son approche ethnoculturelle et sociologique s’inscrit dans un engouement plus vaste que génèrent depuis quelques années les considérations identitaires pour l’analyse de phénomènes, désormais planétaires.
Le marché de l’excellence: Les grands crus à l’épreuve de la mondialisation
Marie-France Garcia-Parpet
2009, Paris, Seuil, 271 pages
39,96 $, 20 €
Manon Tremblay
Professeure titulaire
École d’études politiques
Université d’Ottawa