Le buveur de bière ou le buveur de lait ont rarement le réflexe de faire l’examen visuel du liquide qu’ils s’apprêtent à avaler. Ils ont raison, ces boissons sont habituellement sans surprise. Il suffit de lire l’étiquette sur le contenant pour savoir exactement ce que l’on va boire.
Il en va tout autrement avec le vin. Tous les amateurs de vin ont développé cet automatisme, la première étape de la dégustation, c’est d’interroger le vin, avec ses yeux.
Il n’y a pas si longtemps encore, cet examen était obligatoire pour détecter – ou tenter de repérer – les vins mal faits. Un nuage douteux ou des «voltigeurs» [des particules de matière peu avenantes] flottant dans le liquide étaient un indice certain d’un vin qu’il était préférable d’éviter de porter à ses lèvres. La chose n’était pas rare.
Aujourd’hui, les vins sont mieux faits. L’examen visuel reste néanmoins une étape essentielle de la dégustation, parce qu’il peut révéler une foule d’informations utiles sur la santé et sur la qualité du liquide dans le verre.
Avec l’expérience, les dégustateurs ont développé des techniques qui permettent, à partir d’un examen visuel rigoureux, de juger tant de l’état de santé d’un vin que de ses qualités.
Comment regarder le vin?
Pour bien voir le vin, il faut d’abord utiliser le bon verre, un verre à dégustation, comme le verre INAO ou le verre Ouverture de Riedel. Il y en a d’autres aussi. Ensuite, il faut apprendre où regarder.
La verticale
Dans le verre, c’est le disque que le dégustateur doit d’abord examiner. Le disque, c’est la surface du liquide contenu dans le verre.
Le dégustateur peut voir ce disque en se plaçant à la verticale, au-dessus du verre. Les parois de la coupe délimitent un cercle. C’est la surface de ce cercle qui constitue le disque.
L’examen vertical permet d’apprécier la limpidité et la brillance du liquide, de bons indices de son état de santé.
La latérale
Le disque peut aussi se voir latéralement. Pour se faire, il suffit d’incliner le verre en le plaçant à 45° devant soi, en éloignant le haut du verre de ses yeux et en rapprochant le pied de sa poitrine. La surface, le disque, apparaît alors plus grande que lors de l’examen vertical. Le véritable avantage de cette position est cependant ailleurs.
C’est que cette technique permet de faire apparaître une bordure tout autour du disque. Cette bordure est constituée de deux segments d’inégale importance. Le plus grand est créé par les parois du verre, par l’épaisseur de celles-ci. Il fait les 3/4 du cercle et cerne le disque des deux côtés et à sa base. Il est appelé l’anneau ou, pour faire image, le fer à cheval. L’anneau concentre la couleur du liquide et permet de mieux apprécier les nuances et l’intensité de la couleur.
Le deuxième segment se situe au sommet du cercle, à la frontière du liquide et de la paroi du verre. Ce segment, appelé la couronne, est beaucoup plus étroit que l’anneau. Plutôt que de concentrer la couleur, la couronne la décompose, révélant le spectre de la couleur du vin. Elle donne de précieuses indications sur l’âge et l’état de conservation du liquide.
La globale
L’examen de la consistance du liquide doit compléter l’analyse visuelle. Autrefois, les dégustateurs parlaient très poétiquement des jambes, de la cuisse ou même des larmes du vin.
Pour voir ces larmes, il suffit de tourner un peu le vin dans le verre de façon à en mouiller les parois avec le liquide. Le verre remis sur pied, l’alcool étant plus gras et volatil que l’eau, il redescend moins vite que l’eau dans le fond du verre et laisse des traces, des coulures sur les parois du verre.
Le langage scientifique parle alors de l’effet Marangoni. En termes clairs, ce phénomène ne prouve cependant rien de plus que le fait, assez peu inattendu, que le vin contient de l’alcool. Ce n’est guère un critère vraiment déterminant de la qualité du liquide. De plus, consulter l’étiquette suffit pour se faire une idée très précise du degré alcoolique d’un vin, puisque cette mention est partout obligatoire.
La matière du vin est beaucoup plus riche que son seul degré alcoolique. La force de ce degré contribue certes à la structure d’un vin, mais n’est pas visible à l’oeil nu. Ce qui peut l’être, c’est l’action de l’alcool. L’alcool est constitué de glycérols, qui sont des trialcools qui, réagissant avec les acides gras, donnent – par estérification – des lipides et, des lipides, c’est, pour simplifier, du gras. C’est ce gras, et aussi les sucres résiduels que contiennent certains vins [les vins moelleux et liquoreux en particulier], qui donnent à un vin sa consistance.
Pour juger véritablement de la consistance d’un vin, plutôt que de se fier aux larmes, il est donc préférable de tenter de la saisir en examinant globalement le liquide dans le verre. Cela se fait en portant le verre plus haut que les yeux et en faisant bouger légèrement le contenu, que l’on examine par en dessous. L’idéal, c’est de placer le verre entre les yeux et une source lumineuse.
Pour décrire la consistance, il faut regarder la façon dont le liquide bouge dans le verre. Le dégustateur utilise alors le vocabulaire suivant pour décrire ce qu’il voit :
Moins un vin contient de lipides et de sucres résiduels, plus il sera fluide et aqueux. Plus il en contient, plus il sera et apparaîtra gras et onctueux à l’oeil du dégustateur.
Le liquide est qualifié de sirupeux si, dans le verre, il «bouge» comme le ferait un sirop. À l’autre extrémité du spectre, il est qualifié d’aqueux s’il bouge comme si s’était de l’eau. De fait, s’il bouge comme de l’eau, il y a de bonnes chances que le verre contienne un liquide qui ne vaut guère plus que de l’eau. Qu’après, le dégustateur découvre que le liquide est également inodore et sans saveur ne sera pas une surprise. L’examen visuel l’aura prévenu qu’il y avait peu à attendre de ce «vin» qu’en fin d’analyse, il qualifiera de mince ou de ténu.
Au contraire, un vin gras ou onctueux est plein de promesses. Une matière visuelle intense laisse deviner un vin aux arômes généreux et riche en bouche. Voilà pourquoi l’amateur averti recherche le gras dans les vins secs, blancs ou rouges. Dans les vins moelleux ou liquoreux, c’est l’onctuosité qui est recherchée. Voir bouger un grand sauternes est une jouissance. Il en va de même pour la limpidité, la nuance et l’intensité de la couleur dont les qualités visuelles sont toutes autant de promesses olfactives que gustatives.
Benoit Guy Allaire