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Les monopoles des alcools devant la Cour suprême

La légitimité des monopoles des alcools des provinces du Canada a été discutée pendant deux jours devant la Cour suprême du Canada.

L’affaire s’est retrouvée là parce qu’un résidant du Nouveau-Brunswick, Gérard Comeau, est allé acheter des caisses de bière au Québec. Il a été accusé de ne pas avoir acheté sa bière auprès du monopole de sa province. Il a contesté prétextant que la constitution canadienne lui permet d’acheter des biens où il veut au pays.

Le juge Ronald Leblanc de Campbellton lui a donné raison, car l’article 121 de la constitution de 1867 dit bien que tous les articles produits au Canada doivent être admis en franchise dans toutes les provinces. «shall be admitted free».

Toutefois, ce n’est pas tout le monde qui interprète cet article de cette façon. D’ailleurs, depuis l’arrêt Gold Seal de la Cour suprême de 1921, admis en franchise veut dire admis sans droits tarifaires et ne veut pas dire que des droits non tarifaires ne peuvent pas être imposés. Telle est la loi depuis 1921. Cependant, depuis ce temps, cette interprétation est contestée et souvent considérée comme étant une erreur du passé, du temps de la prohibition. C’est ce qu’affirme d’ailleurs le juge Leblanc du Nouveau-Brunswick.

Devant, les 9 juges, les avocats des provinces sont venus protéger les monopoles en disant que les provinces ont le droit d’imposer des règlements limitant le commerce de biens des autres provinces; pendant que des avocats des consommateurs et des commerçants sont venus dire que «free» veut dire «free» et qu’on a le droit d’acheter des produits d’ailleurs au Canada.

Le Canada est-il un pays de libre-échange? Non, selon les provinces; oui, il le devraient selon les consommateurs et commerçants.

Dans un monde de commerce électronique, peut-on encore empêcher un citoyen de faire venir un produit d’une autre province? Les provinces veulent conserver leurs monopoles parce qu’ils rapportent de l’argent, mais ne peuvent-elles pas obtenir cet argent d’une autre façon? Sont-elles obligées de vendre un produit pour le taxer; alors qu’elles peuvent très bien taxer l’essence et les cigarettes sans les vendre?

Que décideront les juges?
Accepter le jugement Comeau c’est remettre en question le fonctionnement actuel de la fédération et aller à l’encontre de la volonté des gouvernements des provinces.
Renier le jugement Gold Seal, reconnaitre l’erreur de la Cour Suprême de 1921, c’est entrer dans un monde inconnu. C’est refaire la loi, c’est modifier les règles actuelles et tout ce que cela implique de complications, de changements, d’incertitude, de litiges et de futures contestations, comme l’a exprimée clairement la juge en chef. Le chaos après la bière libre.
Les juges auront-ils cette audace? Le statu quo n’est-il pas plus facile à vivre que le changement!
Le jugement est attendu pour la fin mai.

 

Des constitutionnalismes représentent quelquefois la constitution comme étant un arbre. Un arbre vivant qui grandit au rythme de la société et qui doit suivre l’évolution de cette société. S’il en est ainsi, la question pertinente à se poser n’est-elle pas — au lieu de se demander ce que les Pères de la Confédération, à la racine, voulaient dire par l’expression free — mais plutôt de se demander ce que les petites feuilles d’érable au bout des branches veulent entendre aujourd’hui  par ce mot qui évoque la liberté ?

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Sa Majesté la Reine c. Gerard Comeau, Cour Suprême du Canada
Registre des procédures Sa Majesté la Reine c. Gerard Comeau, Cour Suprême
Les mémoires déposés devant la Cour Suprême
Diffusions web archivées des audiences de la Cour suprême
Le jugement Gérard Comeau, juge Ronald Leblanc, Campbellton, août 2016
Section 121 of the Constitution Act, 1867 Wikipedia en anglais
La théorie de l’arbre vivant
Cause de Gérard Comeau : plaidoyer pour une libre circulation des biens entre les provinces, Catherine Allard, Radio-Canada
Le vin à la Cour suprême
L’arrêt Comeau : vers une libéralisation du commerce interprovincial canadien? La Cour suprême du Canada tranchera. Desgagné et Griffin, avocats
Booze battle : could there be chaos ? The Telegraph