À l’origine, le vin ne goûtait pas le bois. On se servait des barriques de bois pour transporter le liquide, mais les fûts étaient réutilisés ce qui fait qu’ils communiquaient peu d’arômes boisés au vin.
Ce n’est que lorsque les Anglais ont commencé à importer leurs vins de Bordeaux qu’on découvrit le goût boisé des vins. Les barriques n’étaient utilisées qu’une fois, pour un voyage. Il n’y avait pas de retour.
On développa alors un goût pour cette nouvelle saveur. Puis, les tonneliers commencèrent à faire des tonneaux encore plus boisés en fumant en chauffant à divers degrés l’intérieur, en les brûlant même. Ça s’appelle la chauffe, le toastage.
Le bois est aussi très utile pour permettre dans certains cas un vieillissement harmonieux du vin. Il adoucit les tanins, oxygène le vin…
Le bois sert aussi à aromatiser le mout. La barrique, les copeaux donnent des goûts vanillés et parfois sucrés au liquide.
Il peut ainsi contribuer à la complexité aromatique du vin, être un des éléments du bouquet.
Toutefois, lorsque la saveur dominante du vin est le boisé, là ça ne plait pas à tous.
Dans leur désir de faire un vin goûteux, certains producteurs forcent la dose et utilisent des copeaux et des fûts très chauffés, «toastés» comme on dit.
D’autres savent mieux doser l’utilisation du bois.
La saveur boisée évolue aussi dans le vin. Certains aiment, d’autres moins.
J’ai recueilli les propos de collègues sur le sujet, les voici:
«En jeunesse, surtout pour les vins de qualité, il arrive souvent que le vin n’ait pas « digéré » son bois et que celui-ci occupe le devant de la scène – au détriment du fruit, notamment.
On n’a pas à s’en inquiéter si on détecte par ailleurs dans le vin de la profondeur et de la matière – ainsi qu’un bon équilibre, évidemment.
Je viens d’ailleurs de vivre l’expérience avec un Haut-Brion 2002.
Il suffit dans ces cas-là d’être patient.» Marc Chapleau rédacteur en chef de la revue Cellier
«Le boisé d’un vin doit faire corps avec le vin, en devenir une partie intégrante qu’à la limite on ne devrait pas déceler comme une composante en soi. Il doit mettre en valeur le vin, mais jamais être mis en valeur lui-même. Tout est question de dosage et le dosage varie énormément d’un cépage à l’autre et d’un millésime à l’autre.
Je soupçonne que l’excès de bois qu’on retrouve dans les vins depuis une vingtaine d’années résulte des « dégustations concours ». Car quoi de plus séduisant que ce petit côté crémeux, épicé ou caramel lorsqu’on met son nez dans un verre et qu’on en boit une gorgée? Le problème, c’est qu’au troisième verre ça ne passe plus! L’effet s’additionne et le vin devient lourd, parfois sucré; on cherche le fruit et on se rend compte que le boisé enterre tout. Mais le vin gagne des concours et c’était le but recherché.
Le problème, c’est aussi qu’on boise des vins auxquels le boisé ne convient même pas. Un boisé toasté qui appuie un cabernet sauvignon d’un très bon millésime en Bordeaux lui confèrera quelques notes de café ou de moka et ce sera génial; le moka et le café semblent venir du vin lui-même et non pas d’un passage en barrique. Mais un boisé qui transfère des notes de caramel à un beau Chablis, par exemple, dénature ce cépage caractérisé par son acidité vive et presque métallique. Et ici la question qui se pose est la suivante: Veut-on encore cette chose unique qu’est le Chablis et qui ajoute à la vinodiversité (néologisme qui pourrait avoir de l’avenir) ou veut-on UNE version du chardonnay qu’on peut se procurer de la Californie comme de la Bourgogne ou de n’importe où ailleurs?
Le boisé qui ne fait qu’appuyer discrètement une belle matière est souhaitable; le boisé qui défigure l’unicité d’un vin est à proscrire. C’est alors un défaut. Certains vins peuvent s’accommoder d’un boisé bien marqué; qu’on pense au tempranillo ou au viuja de la Rioja. D’autres non. On peut faire le parallèle avec l’oxydation. Le vin jaune est une merveille; il porte tout de même une bonne dose d’oxydation. Tous les vins sont oxydés, car tous ont subi un peu d’oxygénation. Mais lorsque l’oxydation devient dominante, c’est un défaut pour la vaste majorité des vins.» Benoit Lavoie
«Une autre source du bouquet, indiscutablement la plus connue, est cependant le bois. Celui-ci enrichit et complète les odeurs et les goûts du vin. Le passage du vin en barrique l’imprègne souvent de parfums de vanille, de pain grillé, de chocolat, de café, de bois de santal ou même de cuir. Après de nombreuses années, il apporte des notes de truffe et de champignon au vin.
Toujours, dans un vin bien fait, la note boisée doit cependant rester discrète. Comme l’écrivait le célèbre œnologue bordelais Émile Peynaud : ‘’ la barrique ne fait pas le vin ‘’. Le boisé doit seulement compléter la palette aromatique d’un vin, comme le fait une épice pour assaisonner un plat. Jamais le boisé ne doit donc dominer le fruité.» Benoit Guy Allaire, président de l’Académie du vin de l’Outaouais
«C’est évidemment une question de dosage. Une forte dominante boisée n’est généralement pas à mon goût. C’était le cas du Léoville-Poyferré 1997 dégusté l’autre jour, par exemple. Mais je connais bien des amateurs qui apprécient ces monstres hyperboisés que sont certains cabernets ou shiraz du Nouveau Monde.
Un autre exemple: chez Pesquera, je préfère habituellement le crianza au riserva, le bois prenant trop de place dans le second.
S’il y a une exception, ce doit être celle des Rioja Gran Reserva de style traditionnels. Il faut toutefois les attendre longtemps pour que les arômes de chêne vanillé évoluent et s’intègrent, se fondent, dans le bouquet du vin.
Je ne suis évidemment pas de l’école de ceux qui prétendent que le vin c’est du « jus de raisin » et qu’il doit donc toujours avoir une dominante fruitée. L’élevage est une partie essentielle de la fabrication d’un vin et, dans certains cas, le bois y joue un rôle traditionnellement très important.
Évidemment, tous les vins qu’on a tenté de « corriger » à la barrique (ou aux copeaux) lors d’un mauvais millésime ou après une vendange trop hâtive sont pitoyables.
Si j’essaie de résumer, je dirais qu’une dominante boisée est toujours un défaut dans les vins faits pour être bus jeunes. Quant aux vins de garde, ça les rend désagréables à déguster en jeunesse, mais certains (pas tous!) n’en sont que plus complexes et intéressants à maturité.» Alain Brault
«Si le vin est jeune, que le vin dégage beaucoup de tout avec un boisé dominant, mais que l’équilibre n’est pas compromis (comme dans certains vins espagnols et bon bordelais), ce n’ est pas un défaut.
Le boisé est un défaut lorsqu’il masque la franchise des arômes d’un vin (ce qui était très fréquent avec les chardonnay du Nouveau Monde il y a 5 ans), s’il alourdi sa fraîcheur ou bien si le boisé minimise les nuances ou la complexité des arômes ou des saveurs d’un vin en le rendant … boisé et rien d’autre.
Par contre, lorsqu’il est judicieusement utilisé, le boisé peut complexifier un vin en lui donnant une autre dimension, et même lui apporter une texture, qui ne compromet pas l’équilibre et ne porte pas ombrage à la minéralité ou la fraîcheur d’un vin.» Marc Duhamel
«Pour moi, non ce n’est pas un défaut, mais plus un style de la maison qui plaît à certains consommateurs, et moins à d’autres.» Johanne Lanthier, présidente provinciale de l’Amicale des Sommeliers du Québec
«Ma réponse, selon mon goût personnel, est absolument oui. Selon moi, un vin devra être équilibré, ni trop boisé, ni trop acide, ni manquant de fruit (ou trop de fruit confituré). Mohamed Nouhi
Voici maintenant d’autres commentaires recueillis sur le forum Fou du vin.
J’ai posé à question aux participants. Les réponses sont très intéressantes et variées.
«Personellement, le bois (ou excès de) me dérange moins quand il porte plus vers les aromes de café ou de fumé, mais quand on tombe dans la grosse vanille là je décroche complètement.»
«Pour ma part, je ne considère pas le bois comme une qualité ou un défaut, mais comme un attribut. Et à partir de là, on aime ou on n’aime pas, au même titre que n’importe quelle autre propriété du vin : sucre, acidité, tannins, caractère léger ou fruité, corsé, à la limite, rouge ou blanc!!! (..)il arrive effectivement que dans une dégustation de groupe, certains trouvent un vin boisé et d’autres non. J’attribue cette différence à l’expérience et au palais des dégustateurs.»
«Ce n’est pas le boisé qui est un défaut, mais le mauvais équilibre. Donc un vin où le fruit est écrasé par le bois est pour moi un vin déplaisant.
Le bois neuf et chauffé me rebute, pas loin derrière c’est le goût de vanille excessif. L’élevage en barrique donne parfois une sucrosité écoeurante aux vins.
Oui j’ai des amis qui aiment le bois. Devant un vin bien boisé, ils s’émerveillent d’un vin qui goûte enfin quelque chose. Ils ne se soucient guère que le fruit soit écrasé, ce qui compte pour eux est le goût laissé par l’élevage.
Parfois, ce n’est pas une question de préférence personnelle, mais de perception du goût boisé qui varie d’une personne à une autre.»
«Tout est dans l’équilibre et les goûts de chacun. Pour moi, beaucoup de bois, et entre autres la sucrosité qui vient avec quelques fois, m’écoeure au plus haut point. Dans ce cas, pour moi c’est un défaut. Ce qui pour quelqu’un d’autre peut être une qualité.
Le rôle du bois est d’apporter des arômes, donc une complexité, supplémentaire aux vins que le fruit seul ne peut développer.
Je ne recherche pas particulièrement les vins boisés. Je veux des vins équilibrés qui m’en donnent pour mon argent.»
«Pour ma part, j’adore le goût du chêne dans un vin, principalement de 3 provenances et de trois types.
Provenance: Américain, Français et Hongrois.
Types: Torrifié, blond ou un mélange des deux»
«La très large majorité des vins rouges de grande qualité dans le monde sont élevés sous bois et aussi une proportion importante des vins blancs. Donc, l’usage du bois n’est pas en cause. Ce qui est en cause, c’est la qualité du bois utilisé, le traitement qu’on lui fait subir avant usage, ainsi que le mariage et le dosage par rapport aux autres caractéristiques du vin. Un autre élément est le temps en bouteille. Un vin trop boisé aujourd’hui pourra avoir trouvé un meilleur équilibre plus tard, mais ça, c’est plus hasardeux à prévoir. La matière doit être là au départ.»
«Je trouve qu’il s’agit clairement d’un défaut. Je suis adepte de la théorie voulant que le bon bois est celui qu’on ne goûte pas…..je crois que ça vient d’Émile Peynaud, c’est Michel Phaneuf qui m’avait appris cette citation. Le bois devrait pour moi affiner la structure en lissant les tannins, sans laisser de goût. Je suis conscient que beaucoup aiment le goût laissé par le chêne, pour moi ça doit être très discret, voire imperceptible. Le bois est comme le maquillage.»
«un peu de vanille/cassonade/costarde/torréfaction en arrière-plan ne me dérange pas, en autant que le fruit le supporte.»
«Pour moi, définitivement une qualité lorsqu’utilisé sans excès. J’adore la complexité que développe un vin au boisé de qualité, particulièrement lorsqu’il rappelle l’odeur de pain grillé, d’épice et de santal (ça rappelle parfois les parfums pour femme / tout simplement enivrant). Pas spécialement fou des vins chocolatés et encore moins de ceux qui ont un aspect sapinage en avant-plan. Un boisé bien présent, mais intégré au vin me donne la nette impression d’avoir affaire à quelque chose de plus travaillé, plus complet et en un certain sens plus noble, un peu comme si c’était l’élément-clé de de la touche finale d’un chef-d’oeuvre. Je me range du côté de ceux qui aiment… lorsque bien dosé.»
«De toute manière, à l’origine, le bois n’a jamais eu pour but « d’aromatiser » le vin ou de lui donner une saveur quelconque. Et à l’apogée d’un vin, pour moi il ne doit rester du fut que la qualité de l’élevage point. Sinon aussi bien ajouté des fleurs ou du poivre tant qu’à faire.»
«Moi j’aime bien ce « petit » côté boisé. Mais comme mentionné, il faut de la matière pour qu’il se créer un équilibre. J’ai déjà vu un vin passé de 2×4 à fruité en 2 ans. Très impressionnant!»
«On peut aimer le goût du bois comme le goût de fumée dans un poisson par exemple, mais pas trop.»
«Il m’apparaît souvent que le boisé représente une forme de tricherie de la part de certains producteurs, notamment plusieurs producteurs californiens. Ça devient quasiment du jus de chêne, mais ça se vend parce que ça correspond à un goût que d’aucuns recherchent.»
«Pour ma part je préfère de loin les notes vanillées que les notes chocolatées ou cacaotées. Je ne sais pas pourquoi, mais ces temps-ci, j’y suis de plus en plus sensible.»
Voici une réflexion qui pourrait bien résumer toute la discussion.
«Plus on goûte, plus nos goûts se précise et je dirais que tout comme la musique au départ on apprécie ce qui est facilement appréciable, ce qui accroche, dans le vin je crois que le bois en fait parti, mais comme dans la musique quand on pousse plus loin on se lasse des rythmes commerciaux tout comme le goût du bois, on apprécie davantage les subtilités, les nuances, l’équilibre.»
Vous pouvez lire l’ensemble des commentaires des participants au forum du Fou du vin à cette adresse: http://www.fouduvin.ca/viewtopic.php?t=3942
Une discussion sur le même thème est en cours aussi sur le forum de The Wine Addict (en français) qui est ouverte à tous.
Voilà, les avis sont très partagés sur le sujet. Il semble que ce soit une question de goût, de sensibilité au boisé, d’accoutumance et d’expérience.
Il y a peut-être là aussi une question de mode.
C’est peut-être la même chose pour les goûts végétaux des rouges de la Loire, les parfumés d’Alsace et de Nouvelle-Zélande, des écuries de Bandol…
De toute façon, ça en prend pour tous les goûts et c’est tant mieux.
Vive la variété.