Dans l’arrivage du 11 juin, les vins qui nous ont le plus impressionnés sont des Bordeaux. Aimer le Bordeaux n’est peut-être pas très original, mais, il faut le reconnaître, cette région de France produit des vins souvent magnifiques, qui restent une référence mondiale certaine pour ce qui est de la qualité.
Deux vins se distinguent dans le lot offert le 11 juin. D’abord, le Clos du Marquis, Saint-Julien, 1999 – 656595 – 63,95 $ . Dans le catalogue de Vintages, il est indiqué que le Wine Spectator [James Suckling] a donné la note de 89 sur 100 à ce vin. 89, c’est juste une ligne sous la barre du magique 90, qui « fait » un grand vin, dans le système comptable parkérien. Nous ne sommes pas d’accord avec la timidité de monsieur Suckling. Nous, nous n’hésitons pas à franchir le pas et à accorder à ce vin quatre étoiles, c’est-à-dire un 90 franc et solide.
Le nez de ce vin est profond, d’une grande complexité et, surtout, très invitant. En bouche, il est bien gras, d’un bon équilibre et d’une belle longueur. Ce n’est pas pour autant un vin facile et racoleur. Il est d’une grande droiture et même assez sévère. En somme, il a toutes les qualités d’un grand vin et la note que nous lui accordons ne fait que refléter, selon nous, son rang et sa noblesse certaine.
Alors, pourquoi Suckling l’a-t-il noté si timidement ? Peut-être parce que Clos du Marquis n’est qu’un second vin, celui de Château Léoville-Las-Cases. Il est parfois difficile au dégustateur, surtout à celui qui a le sens de la hiérarchie, de noter le second vin [le petit vin !] aussi fort que le grand. Cependant, la vraie raison de la note de Suckling s’explique probablement autrement.
Le lecteur me pardonnera une petite digression sur le travail que font les chroniqueurs pour vous guider dans vos choix. La sorte de dégustation que nous pratiquons est la dégustation dite de comparaisons. L’exercice consiste à goûter, lors d’une souvent trop courte séance, de très nombreuses bouteilles. Notre tâche est de faire le tri et de repérer les meilleurs vins, pour vous les recommander.
Ce que nous faisons, c’est comparer entre eux les vins qui nous sont soumis à chacune des séances auxquelles nous participons. Or, la liste des vins dégustés et leur qualité varient beaucoup d’une fois à l’autre. Et, cela peut influencer considérablement le jugement du dégustateur et la note qu’il donne à un vin.
Par exemple, supposons qu’en deux séances différentes, trois vins sont dégustés au total : un vin A et un vin B lors d’une première séance et le même vin B et un vin C, lors d’une deuxième séance. Si, lors de la première séance, le vin A se révèle [bien] supérieur au vin B, la note donnée au vin B risque de souffrir de la comparaison. Lors d’une deuxième séance, surtout si elle est éloignée de la première dans temps, ce vin B est, cette fois, comparé à un vin C qui lui est nettement inférieur. Cette fois, c’est le vin B qui bénéficiera de la comparaison et la note qu’il recevra sera facilement plus généreuse que celle reçue lors de la première dégustation. Telle est la loi inexorable de la dégustation de comparaison. Le vieil adage se vérifie encore une fois : dans la république des aveugles, les borgnes sont souvent faits rois.
Nous ne savons pas quels vins faisaient partie de la distribution quand Suckling a noté Clos du Marquis. On peut quand même formuler l’hypothèse que le palmarès était impressionnant. Pour ce qui est des vins que nous avons goûtés à l’occasion de l’arrivage du 11 juin, il n’y a pas d’hésitation possible, Clos du Marquis est indiscutablement le chef-d’œuvre qui ressort brillamment du lot.
Nous maintenons donc notre note, avec enthousiasme. Nous pensons cependant que le lecteur et tous ceux qui consultent [sagement] les chroniques avant d’acheter une bouteille, doivent savoir que notre travail, même fait consciencieusement et avec le plus grand sérieux, est rempli de pièges et d’écueils.
Si le Marquis nous a impressionné, Château Dauzac, 5ième Grand Cru Classé, Margaux, 2001 – 940106 – 49,95 $ n’est pas en reste. Ce vin est cependant plus difficile à apprécier. C’est qu’il faut le juger plus pour ce qu’il deviendra que pour ce qu’il est maintenant. C’est un vin qu’il faut mettre en cave et attendre plusieurs années, avant qu’il ne devienne vraiment aimable.
Une couleur opaque, presque noir. Un nez intense et généreusement fruité où dominent, aujourd’hui, la crème et la vanille. Bien équilibré, malgré des tannins massifs et qui ont l’impétuosité de la jeunesse. En somme, une solide charpente et une matière concentrée. Ce qui en fait un vin trop costaud pour vraiment faire plaisir à celui qui s’y attaquerait trop tôt. Celui qui saura l’attendre, au moins dix ans, sera cependant totalement satisfait. Il a tout ce qu’il faut pour une longue route. De plus, cette fois, nous sommes tout à fait d’accord avec la note de 91 donnée par James Suckling.
Il n’y a cependant pas que le bordeaux dans le monde merveilleux du vin, il y a aussi le cabernet sauvignon, celui de la Californie, bien entendu. Le Silver Stone, Napa Valley, 2001 – 592915 – 47,95 $ est un véritable petit délice. Débordant de fruit, une matière généreuse, c’est un vin à savourer, qui plaira aux amateurs de vins du Nouveau Monde. C’est d’ailleurs là le reproche que l’on peut faire à ce vin, son style résolument Nouveau Monde. Ce Californien, à prix honnête, est tout ce qu’il y a de séduisant, mais manque de retenue et peut difficilement trouver sa place à table. Même s’il n’a pas la lourdeur excessive de beaucoup des vins américains, à table, il écraserait tout plat sur lequel on oserait le servir. Ne boudons pas pour autant notre plaisir, à servir pour lui même, en dégustation. N’attendez cependant pas trop, ce vin ne gagnera pas grand chose à vieillir longtemps.
À plus petit prix, la découverte de cet arrivage est un Espagnol, le Nerola, Syrah/Monastrell, 2002, de Miguel Torrés. – 680751 – 19,95 $ . La célèbre maison du Penedés présente, sous cette nouvelle étiquette, des vins pas compliqués, mais très bien faits, dans une gamme de prix plutôt abordables. Même si la syrah n’est pas un cépage traditionnel de la Péninsule ibérique, le nez de ce vin reste néanmoins authentiquement espagnol, vanille [bois américain], cuir et bois de santal. Les tannins sont plutôt impétueux et même un peu secs. Pourtant, le tout se tient plutôt bien. Vin parfait pour les réunions de famille au jardin.
Pour conclure, deux vins qui n’étaient pas disponibles lors de la dégustation à laquelle nous avons participé, mais qui valent la peine d’être signalés. Une belle réussite, à prix très doux, le Capitel dei Nicola, de Tedeschi. Un valpolicella classico Superiore étonnant. Aussi, à prix beaucoup plus sérieux, un très grand bourgogne, le Chambolle-Musigny du Domaine Comte Georges de Vogüé, 2002. À 100 $, ce n’est pas un vin de tous les jours. Il n’en reste pas moins que c’est l’une des très grandes choses que produit la Bourgogne. Les fanatiques du pinot noir se doivent de mettre la main sur une telle bouteille.
Benoit Guy Allaire