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Une étrange étude sur l’amélioration du modèle d’affaires de la SAQ

Le gouvernement du Québec a commandé une étude pour améliorer le modèle d’affaires de la Société des alcools du Québec.
 
C’est la firme Price Waterhouse Coopers (PwC) qui a remporté le contrat et a facturé 182 500 $.
 
L’étude qui a débuté le 7 juillet devait être publiée avant le déclenchement des élections. Elle a plutôt été publiée vers la fin de la campagne électorale. Je crois comprendre pourquoi.
 
Le gouvernement demande d’étudier des scénarios pour une amélioration du commerce de l’alcool au Québec «identification et analyse des scénarios d’évolutions possibles du modèle d’affaires.»
 
Le ministre des Finances Carlos Leitão disait en point de presse :
«Est-ce que ça va être une privatisation totale, partielle, ou pas du tout, il va falloir d’abord faire cet examen. Nous n’avons jamais été fermés à aucune possibilité. […] Nous allons voir après l’analyse. Il
faut regarder les conséquences d’un changement de modèle d’affaires d’un point de vue de l’économie, de la santé publique, de la sécurité publique et pour les employés. Il y a plusieurs aspects à considérer». (Tel que cité dans le journal Le Soleil du 31 mai.)
 
Alors, la firme PwC se met à l’oeuvre et étudie au départ 14 scénarios possibles allant de la privatisation à l’optimisation en passant par la concurrence et les alliances.
 
Puis, après analyse, elle décide de ne conserver que 3 scénarios.
 
Elle refuse d’étudier celui de la privatisation disant que cela nécessite un changement législatif du gouvernement fédéral. «Scénario de privatisation complète (1.a) , similaire au modèle français – Ce scénario où le gouvernement se retire de l’ensemble des activités du commerce de la boisson alcoolisée n’est pas possible, puisqu’il requiert un changement législatif au niveau fédéral. En effet, la Loi sur le commerce des boissons enivrantes fédérale stipule l’obligation des autorités provinciales de faire minimalement l’importation des boissons alcoolisées.»
 
Pourtant, une loi — même fédérale — ça se change. Le fédéral a déjà d’ailleurs modifié cette loi pour permettre le transport de vin par les particuliers d’une province à l’autre.
 
Donc, exit la privatisation! Que reste-t-il? Trois scénarios :
Scénario 1 : Privatisation partielle – vente des activités du commerce de détail et de la distribution;
 
Scénario 2 : Essaimage d’une partie de la SAQ et entrée d’un ou plusieurs compétiteurs;
 
Scénario 3 : Ouverture des lignes de produits exclusives de la SAQ aux détaillants autorisés (épiceries et dépanneurs);
 
 
Le scénario 1 est celui adopté par l’Alberta en 1993.
La SAQ se retire complètement de la vente de détail. Toutefois, elle continue de monopoliser l’importation, la liste des produits, les prix, le contrôle de la qualité…
 
Le scénario 2, dit «essaimage» est un système mixte où la SAQ vend seulement une partie de ces succursales, mais conserve des succursales ainsi que l’importation et la gestion des prix.
 
Le scénario 3 permet aux dépanneurs de vendre des produits de la SAQ et la SAQ gardent toutes ses succursales, en plus de conserver l’importation et la détermination les prix. Les auteurs disent que la SAQ donnera un escompte de 12,2 % aux dépanneurs, mais ajoutent du même coup que leur marge habituelle est de 28 %; donc ils estiment que les dépanneurs vont vendre plus cher que la SAQ. Ils affirment ainsi qu’un vin vendu 10 $ dans une succursale de la SAQ sera 11,24 $ au dépanneur!
 
Les auteurs de l’étude disent que le scénario 1 ne garantit pas une baisse des prix, mais des dégradations de conditions de travail des employés de la SAQ.
 
Le scénario 2 serait moins pire que le 1, selon eux.
 
Le scénario 3 serait le pire. «Bien que les consommateurs bénéficient d’aspects très positifs comme une augmentation de l’accès au réseau, les impacts négatifs pour les succursales de la SAQ (perte de valeur significative de l’actif) et les emplois en général sont majeurs.»
 
Ils prétendent aussi que si on appliquait ce scénario 3, des succursales de la SAQ pourraient devenir des cavistes. «Pour se différencier des épiceries et dépanneurs, la SAQ pourrait vouloir se spécialiser, comme mentionné ci-dessus. Dans certains cas, en adoptant le modèle de “cavistes ”»!
 
Ces scénarios sont comparés au statu quo.
 
Les auteurs de l’étude imposent donc trois prérequis: la SAQ conserve dans tous les cas l’importation; la gestion des prix et le choix des produits. Donc, trois éléments importants qui doivent rester au statu quo.
 
Les auteurs de l’étude en arrivent ainsi à la conclusion que le meilleur scénario est… le statu quo.
«Nos travaux démontrent que tous les scénarios de privatisation et d’augmentation de la concurrence présentent une proportion significative d’impacts négatifs lorsqu’ils sont comparés au statu quo.»
 
L’étude oublie complètement le scénario de la libéralisation proposé par plusieurs au Québec, dont le professeur Frédéric Laurin (Voir Monopole Inc, juin 2016 et Plan cavistes ).
 
À plusieurs reprises dans le rapport, les auteurs mentionnent qu’ils ont eu peu temps pour le préparer.
Ainsi, au sujet de l’Alberta, ils notent que depuis la privatisation, le nombre de points de vente est passé de 208 à 1497; que le nombre de produits est passé 2 200 à 24 000. Ils oublient toutefois de mentionner que le dividende annuel du gouvernement albertain a doublé depuis. Donc, le gouvernement fait deux fois plus d’argent en ne gérant plus la vente au détail de l’alcool.
Les auteurs notent aussi que le prix du vin a fortement augmenté en Alberta, ainsi que les taxes sur l’alcool, mais ils ne font pas de lien entre les deux!
 
Ils mentionnent aussi qu’il est difficile de prévoir le mouvement des prix de l’alcool.
 
Le prix de l’alcool au Canada est fortement tributaire des taxes (y compris dividendes).
Un vin vendu 15 $ c’est 10 $ de taxes, un spiritueux de 25 $ c’est 20 $ de taxes et dividende. Alors, si on veut jouer sur les prix, il faudra jouer aussi sur les taxes et dividendes.
 
Les auteurs qui disent avoir eu «la collaboration exemplaire de la SAQ pour répondre à nos demandes d’informations», disent que «la prudence est donc de mise avant de procéder avec des changements importants dans le modèle d’affaires de la SAQ.»
 
Les auteurs terminent ses 98 pages en disant qu’il faudrait faire d’autres études sur le sujet.
 
Une étude de 180 000 $ qui devait nous aider à améliorer le commerce du vin au Québec nous dit de ne rien faire. N’est-ce pas payer bien cher pour avoir si peu?
 
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Évolution du modèle d’affaires de la SAQ
pwc pour le ministère des Finances du Québec, 12 septembre 2018
 
Voir aussi les commentaires du professeur Frédéric Laurin sur ce qu’il qualifie de document bâclé et écrit à la va-vite.