ÉDITORIAL
Les temps sont durs !
Si Vin Québec demandait aux vignerons de payer pour que nous dégustions et commentions leurs vins, qu’en penseriez-vous?
C’est ce que vient de décider un site web ontarien de commentaires sur le vin. En effet, WineAlign demande maintenant aux producteurs et à leurs agents de payer 35 $ par vin. Il faut bien vivre, dit-on. Il faut être payé pour le travail de dégustation.
De plus, le site va permettre aux vignerons et aux agents les représentant au pays d’effacer les commentaires qu’ils n’aiment pas.
On pousse loin le bouchon là!
Demander de l’argent aux vignerons pour parler de leurs vins, ce n’est pas nouveau. Rappelez-vous l’affaire de Jay Miller de l’équipe Robert Parker. M. Miller demandait de l’argent aux vignerons espagnols pour aller les visiter. Un magazine américain demande de l’argent aux producteurs et dit que ce n’est pas pour le commentaire sur le vin, mais pour l’étiquette qui accompagne le commentaire. Un chroniqueur vin australien demandait de l’argent pour évaluer les vins et disait que cela ne l’empêchait pas d’être critique. En fait, il donnait de très hautes notes.
On a même connu ça ici au Québec lorsque la SAQ a payé James Suckling pour donner des beaux 90 points à des vins.
Payer pour publier des commentaires sur son vin, ce n’est plus de la critique, c’est de la publicité.
C’est comme si le critique de restaurant demandait de l’argent au restaurateur pour parler de son restaurant ou si le critique de cinéma était payé par le cinéaste; ou encore si le conseiller financier demandait de l’argent aux compagnies pour promouvoir leurs actions en bourse auprès de ses lecteurs et clients.
La concurrence est forte dans le domaine de la communication sur le vin. Les influenceuses sur Instagram mangent une bonne partie du budget promotion des agences de vin. Les revues et magazines de vin organisent des concours et des salons et demandent de l’argent aux producteurs pour y figurer.
Un journaliste ne peut pas accepter de l’argent du sujet de son article.
Un critique ne peut pas accepter de l’argent de l’objet de sa critique.
Les anglophones appellent cela Pay to Play que l’on pourrait traduire par payer pour être mentionné. L’expression vient de l’univers de la radio où les producteurs de disques payent pour faire jouer leurs pièces musicales en priorité.
C’est peut-être plus répandu que ce que l’on croit. Dans le milieu, on dit que des blogueurs, des commentateurs radio, des chroniqueurs de journaux et des istagrameuses demandent de l’argent pour louanger des vins.
C’est certain qu’en jouant à ce jeu, on doit s’attendre à de beaux commentaires sur les vins. Il faudra en effet donner de belles notes si on veut inciter plus de producteurs à payer pour faire parler de leurs vins.
Qui paye le commentaire, qui paye la note donnée au vin? Dans ce cas-ci, c’est le producteur de ce vin.
Avec ce virage, les gens de WineAlign ne travaillent plus pour les consommateurs, mais plutôt pour les vendeurs de vin.
D’autant plus que le fondateur du site, Bryan McCaw, écrit que son site déjà «don’t publish poorly scored wine», ne publie pas les vins qui obtiennent des notes basses.
On ne parle plus ici, de journalisme ou de critique, mais de promotion et de publicité. C’est du bu-si-ness.
Alors ce site web WineAlign me semble être bien mal aligné. Voir la lettre envoyée aux agences représentant les producteurs de vin.
L’affaire de WineAlign a été révélée aujourd’hui par le site web Wines in Niagara dans un article intitulé Asking wineries to pay for wine reviews a ‘fundamental change in wine writing in Canada’. C’est à lire.
Comment les propriétaires de la compagnie WineAlign justifient leur décision de demander de l’argent aux vendeurs: voir leur version ici Introducing Our New TASTINGS Service.