Après un millésime 2005 somptueux et qui a permis de hausser les prix de plus de 40 % dans certains cas, les producteurs de Bordeaux appréhendent la sortie des 2006.
Il a fait pourtant très beau en août. On se dirigeait allégrement vers un autre millésime du siècle. Mais, il a fait un temps épouvantable durant les récoltes.
Ceci semble banal – une simple conversation sur la température – qui a pourtant des conséquences à hauteur de plusieurs millions de dollars.
Lors d’un séjour dans le Médoc du 14 au 21 octobre, j’ai constaté que les propriétaires de grands crus ne voulaient pas trop parler de leur millésime 2006. «Il sera beau». Pas plus? «Il est passé de gros nuages au dessus de nos têtes», nous dit le très sympathique et généreux Alfred Tesseron à Pontet Canet. La récolte? «On en parlera tantôt dans le chai.»
À Gruaud-Larose, on nous dit «une chance qu’il a plu, le merlot aurait fait 14 degrés.» Nous goûtons ce Gruaud 2006. Bien sur, il n’a pas encore fait sa «malo». Il y a une présence de gaz carbonique. Ils sent ce qu’on sent dans les caves ces jours-ci, les odeurs de fermentation, la macération. C’est un enfant de quelques semaines. Difficile à juger, mais c’est plaisant.
De retour à Pontet Canet, dans le chai, on nous parle du 2005. On pose des questions sur le 2006. «On en parlera tantôt à la dégustation.» Ce n’est finalement qu’en fin de repas, trois heures plus tard, «il est tombé des tonnes d’eau, mais on bien travaillé dans les vignes, on continue dans le chai… le vin sera beau, pas aussi beau que 2005. On a fait de notre mieux, on a pris des décisions risquées.»
Il faut bien le dire, c’est un métier stressant. Au moment des vendanges, les vignerons vieillissent d’un an. Une chance que le vin maintient jeune le reste de l’année.
Et les prix? «On verra». Oui, 2005 a permis de grandes entrées d’euros. Ça paraît, plusieurs producteurs ont entrepris de grands travaux dans les chais, dans les châteaux… Les prix sont très élevés. Comment faire pour empêcher que ça baisse? Qui accepterait facilement une baisse de revenus, une baisse de salaire? *
Voilà où on en est, les producteurs craignent une reprise de l’expérience de 2001. Les acheteurs ont dépensé beaucoup pour les 2005. Vont-ils vouloir dépenser autant pour les 2006?
On sent de l’anxiété, les producteurs appréhendent les cotes de Robert Parker en avril prochain.
* Le Pontet Canet 2004 se vend 36 euros, le 2005, 63 euros.