Je fais enrager mes amis lorsque je dis que la typicité est un défaut dans le monde du vin.
C’est une boutade, mais qui a du vrai.
Vous sentez-vous trompé lorsqu’on vous sert un vin atypique? Aimez-vous ou non être dépaysé? Est-ce que le bordeaux doit toujours sentir le bordeaux? Aimeriez-vous goûter un meursault qui goûte autre chose que la barrique et le beurre?
Dites-moi, est-ce que Cos d’Estournel est typique de Saint-Estèphe. Selon moi, pas du tout, c’est pourquoi il est le meilleur de cette appellation. Les grands vins se distinguent de la masse.
Est-ce que la Mi-Pente du Domaine La Butte de M. Jacky Blot est typique du bourgueil, pas du tout, pourtant c’est sûrement et de loin le meilleur bourgueil vendu au Québec.
Il y a quelques jours le propriétaire du restaurant, l’Orée du bois, nous fait boire des vins de sa cave.
Des vins servis à l’aveugle. Jean-Claude Chartrand nous a fait faire toute une promenade. Six vins, six régions, nous n’avons rien reconnu, sauf une région. Pourtant, j’étais avec trois grands dégustateurs, dont un champion canadien.
Je ne suis pas un expert dans la devinette des origines et cépage. D’ailleurs, j’essaie de ne pas les reconnaître. Je vous expliquerai pourquoi une bonne fois.
Quoi qu’il en soit, ce fut ce que je peux appeler maintenant un festival de l’atypicité. Ça commence par un vin blanc intrigant, qui nous a fait faire le tour de plusieurs régions de France et un peu d’Italie, pour se révéler être un riesling d’Allemage. Un riesling non pétrolé et non sucré. Riesling, Heitlinger, Shiny River, Allemagne, 2008. Délicat et fin.
Le deuxième était le seul qu’on a vraiment reconnu. Alsace, Gewurztraminer, Heissenberg, Domaine Julien Meyer, 2006. Eh oui, un gewuzrt, frais, aromatique, pas trop exubérant.
Puis, un détour dans une région qu’on connait peu, pas réputée, mais qui fait de beaux vins semble-t-il. Le Mauzac Roux de Robert Plageole, Gaillac 2008. Est-il typique celui-là des vins de sa région? Les gaillacs que je connais sont de petits vins légers. Celui-là a du caractère.
Ensuite nous croyons reconnaître la Loire, Chinon même, dans ce cabernet franc des Pays Basques, Domaine Brana, Axeria, Irouleguy 2006. Au moins on avait le cépage. Le meilleur irouleguy jamais bu.
Puis un vin délicieux qui nous promène du Sud-ouest au Languedoc, qui est en fait un vin du nord, Chinon, Côteau de Noiré, Domaine Philippe Alliet, 2006.
Pour terminer un petit lait chaud à l’Armagnac de Tariquet.
Atypique! Des vins exceptionnels absolument atypiques. Du moins atypique de ce que nous connaissons ici de ces appellations.
Je crois que ce sont tous des vins d’importation privée.
Il faut dire aussi que ces vins ont été servis avec des mets délicieux préparés par les chefs Guy Blain et Jean-Claude Chartrand et les accords étaient parfaits.
Donc un festival de l’atypicité.
Le dictionnaire de la langue du vin de Martine Cloutier nous dit que la Typicité est un
«Ensemble de qualité originale d’un vin résultant du cépage, du terroir et des techniques de vinification. (voir authenticité) Lorsque le vin obtenu dans la zone géographique correspond aux critères gustatifs reconnus par la profession pour ce type de vin, on dit alors qu’il a la typicité. Mais cette notion de typicité est assez abstraite, assez floue! Elle n’est que rarement décrite avec précision pour un cru donné. Elle est fondée sur l’impression qu’en donnent les professionnels du cru, les connaisseurs ou les spécialistes. Elle se transmet curieusement de génération en génération, avec parfois des évolutions en fonction des circonstances, des modes. C’est en fait l’usage qui consacre cette notion de typicité. Elle sous-tend également une notion d’originalité.»
De son côté, le Guide du vin nous dit que le terme typicité n’est utilisé dans le vin que depuis le début des années 1990. «La typicité recouvre le consensus de la profession dans un lieu donné; et ce dernier pousse à la standardisation.»
On fait même des études scientifiques sur la typicité des vins. On a en fait sur celle des bordeaux, sur les vins jaunes : Étude sur la typicité du Vin Jaune. Approche statistique de résultats analytiques, Chevènement, Gubey, Grispoux, Levaux et Sintot.
Dans les décrets d’appellation, on prévoit même que le vin doit être typique pour recevoir l’agrément. La typicité devient objet de loi. Dans le Décret du 2 novembre 2006 définissant les conditions de production des vins de pays des Gaules, l’article 4 stipule que le vin doit être typique du cépage. C’est signé de la main du premier ministre de France. Et moi qui dis que la typicité est un défaut!
Le mot typicité est entré dans le vocabulaire comme néologisme vers 1979. Il est admis dans les dictionnaires en 1993. Au début des AOC, on parlait plutôt «originalité, authenticité, qualité».
Si la typicité est une qualité, est-ce que l’originalité est un défaut? Comment concilier les deux? «La typicité et l’originalité des vins étant parmi les conditions requises et indispensables pour que l’INAO décide d’étudier un dossier d’accession,» dit le nouveau décret des Vinsobres
Il y a un débat dans le monde du vin : AOC: originalité ou typicité?
Qu’advient-il de la typicité lors du vieillissement du vin? Il semble ma chère qu’on puisse confondre un vieux barolo, un vieux rioja avec un vieux margaux!
La typicité c’est rassurant. Mais dans le vin, de temps en temps, on accepte de voyager et de quitter le confort du connu.
Je vous souhaite de beaux voyages dans le vin.