En avez-vous assez de ces vins qui titrent à 14, 15 et même 16 degrés d’alcool?
Il semble que certains consommateurs veulent un retour aux vins plus digestes.
Les producteurs de plusieurs pays sont sensibles à ce ras-le-bol de l’hyperalcoolisé et ont commencé à réduire les taux d’alcool de leurs vins.
Les viticulteurs du Nouveau Monde ont été les premiers à réagir. Les Français suivent depuis quelque temps.
François et Vincent Pugibet du Domaine de la Colombette en Hérault désalcoolisent certains de leurs vins. François Pugibet a arraché ses vieux cépages dans les années ’70 pour planter des cépages plus à la mode, comme le merlot, la syrah et du cabernet.
Il a vite vu les taux d’alcool de ses vins monter de 12 à 14 degrés. Il dit dans un reportage à la chaîne de télévision TF1 que cela plaît aux jurés des concours «il est évident que dans un concours vous avez 15 échantillons sur une table, celui qui va sortir c’est peut-être celui qui est à la fois le plus concentré, le plus fort en alcool, qui va vous accrocher un moment donné ou qui va accrocher un juré.» [1]
Alors, à Bézier, les deux viticulteurs irriguent au goute-à-goute leur vigne et filtrent leur vin dans un osmoseur pour abaisser le taux d’alcool à 12 et même à moins de 9 % pour certains vins. [2]
Interdit d’exportation
Mais, le bouillant producteur ne peut pas exporter son vin. L’État lui interdit. Il fulmine «Aujourd’hui tous les pays de l’hémisphère sud ont reconnu la pratique. La Californie, pionnière dans le domaine, désalcoolise plus de 15% de sa production.»
Il demande le droit d’exporter, mais «pour autoriser cette pratique, la France doit en faire la demande à Bruxelles et c’est là que les choses se compliquent», nous rapporte Vitisphère, dans son édition du 13 mars.
Désalcoolisation contre chaptalisation
«Au Ministère de l’Agriculture, chacun s’accorde sur la nécessité de disposer, dans la panoplie des pratiques oenologiques, de méthodes permettant de corriger le titre alcoométrique. Le débat porte maintenant sur la façon d’obtenir cette autorisation de Bruxelles […]Le douloureux épisode des copeaux a laissé des traces […]La crainte concerne évidemment la chaptalisation, dont la Commission Européenne a projeté la suppression dans la future OCM.»
«L’affaire risque donc de prendre encore quelques mois, d’où la colère des Pugibet dénonçant le traitement déloyal réservé aux vins français, alors que leurs « concurrents du Nouveau Monde peuvent en toute légalité vendre des vins corrigés en alcool en Europe ». [3]
Aux États-Unis, ça se fait depuis le début des années 1990. Des firmes comme ConeTech se sont même spécialisées dans «l’ajustement du taux d’alcool». Sur le site de l’entreprise, on explique les techniques utilisées. [4]
Qu’est-ce qui a donc fait hausser le taux d’alcool?
Selon ConeTech les «souches modernes de levure élèvent les niveaux de sucre et d’alcool bien au-dessus de ce qui serait souhaitable.» Les clones et types de porte-greffe seraient aussi responsables de cette hausse.
Marc Kreydenweiss, qui a un domaine en Alsace et dans le Rhône, écrit dans le courrier du lecteur de la Revue du vin de France: «En effet, la recherche sur le matériel végétal a surtout été axée vers une augmentation des sucres. Or, avec les vieilles sélections, les pépins mûrissent, selon les cépages, entre 11 et 12 °. Bien sûr, il y a ce petit plus d’acidité souvent gênant à la dégustation. Mais à table, ces vins, plus digestes, donnent envie d’être bus.»
Comment on réduit?
Certains producteurs ajoutent tout simplement de l’eau au vin puis de l’acide tartrique pour compenser, c’est permis aux États-Unis et dans les pays du Nouveau Monde. D’autres ajouteraient du jus de fruits…
Le mouvement de désalcoolisation a reçu un bon coup de pouce l’automne dernier lorsque le réputé chroniqueur de vin Hugh Johnson a écrit «Wines that 20 years ago had 12 or 12.5 degrees of alcohol may now pack a punch at 14.5 or 15 degrees or even more; balance disappears, and drinkability is thought wimpish».
«Like human bodies packed with steroid-driven muscle, these wines do not fulfil any useful purpose; they are merely made to win competitions … Mostly what excess alcohol does is muddy the flavours and blur the aromas, so you lose definition and focus and complexity.» [5]
En résumé, des vins déséquilibrés et construits pour gagner des concours, pas pour boire.
Dans un dossier publié sur le sujet, Vinimarket donne l’exemple de quelques méthodes de désalcoolisation.
- L’osmose inverse;
- Évaporation sous vide;
- Réduire la teneur en sucre des moûts;
- Des cépages à faible potentiel, des fermentations arrêtées à 9°.
Contrôles et expériences
En France, où tout est contrôlé de façon trop tatillonne selon certains, on surveille de près l’utilisation de ces m méthodes. Des expériences sont faites dans plusieurs régions. Les organismes de réglementation suivent la situation de près et accordent des autorisations au compte-goutte.
«La maîtrise des rendements, le choix de cépages améliorateurs, l’attente d’une maturité optimale ‘polyphénolique’ ou ‘aromatique’, des conditions climatiques favorables ces dernières années à des concentrations importantes des raisins, ont entraîné l’élaboration de vins plus qualitatifs, mais avec des degrés alcooliques jugés parfois excessifs», écrit Phillippe Cottereau de la Station Régionale ITV Midi-Pyrénées. Il nous mentionne aussi plusieurs techniques utilisées en France. [6]
Après l’affaire des copeaux de bois et avant celle de l’interdiction de la chaptalisation [7], le sujet de la désalcoolisation du vin va sûrement susciter de vives réactions dans le monde viticole.
Un dossier de RVF
Dans un dossier de la Revue du vin de France de l’édition de mars, Véronique Raisin [oui!], nous explique les différentes techniques utilisées par des producteurs de l’Alsace et du Sud-Ouest pour construire des vins plus digestes et qui plairont à la clientèle qui cherche des produits de haute qualité et de santé.
«Cette classe d’âge fraîchement retraitée, au fort pouvoir d’achat, est à la recherche des goûts légers de leur jeunesse, une époque où les vins ne titraient pas plus de 9 ou 10 °. Un message reçu cinq sur cinq par des producteurs en quête de nouveaux débouchés.» [8]
Pour ce faire, on revient donc aux cépages moins alcooleux: morastel, aramon, aspiran. On change de type de levure. On enlève du sucre avant la fermentation, ou de l’alcool après…
L’État surveille
Les organismes nationaux suivent l’affaire de près. L’Institut national de la recherche agronomique [INRA] a même créé un nouveau programme de recherche sur le sujet. Nom de code: VDQA, vin de qualité à teneur réduite en alcool. «L’ambition du programme est de développer une recherche intégrée pour ‘construire’ des vins de qualité à teneur significativement réduite en alcool [6 % à 12 %].»
«La désaffection des consommateurs vis-à-vis de l’alcool et le goût croissant pour les boissons allégées ou sans alcool s’expliquent par plusieurs facteurs: santé, minceur, contrôles routiers répressifs…»
On va donc développer des «souches de levures oenologiques à production d’éthanol réduite» et vérifier «la pertinence de l’approche ‘diversification variétale’, dont l’impact au niveau de la profession viticole sera majeur au niveau environnemental et économique [diminution drastique des traitements].» [9][10]
Un beau programme… à suivre…