Vous avez sûrement remarqué l’inscription «contient des sulfites» sur les bouteilles de vin. La Communauté européenne impose depuis novembre 2005 cette note si le vin contient plus de 10 milligrammes de soufre par litre. Les États-Unis le font depuis 1998 pour des vins qui en contiennent 10 parties par million.
Il y a des sulfites dans la quasi-totalité des vins. Certains producteurs en rajoutent plus que d’autres.
Un lecteur m’écrit pour me dire «je trouve particulier que vous sembliez recommander un vin où nous retrouvons des sulfites dans sa fabrication. De mon côté, cet agent de conservation, je crois, me donne mal à la tête…»
Peur bleue
Les vins sans sulfite sont rares. Il y a quelques années le réputé producteur du châteauneuf du pape La Gardine a fait une cuvée appelée Peur Bleue. Un vin sans soufre ajouté.
«C’est une expérience,» nous dit Patrick Brunel. Ce vin lui donnait trop de soucis. Des maux de tête peut-être? Peur Bleue, il a dû l’appeler ainsi parce qu’il avait peur qu’il ne se conserve pas. En effet, M. Brunel ajoute que ce vin est très instable et voyage très mal. Il ne goûte jamais la même chose, trop de bouteilles sont défectueuses et il y a donc trop de perte.
L’utilité du sulfite
À quoi sert le sulfite dans le vin et pourquoi en met-on?
Ce produit qu’on retrouve sous plusieurs noms, soufre, SO2, anhydride sulfureux, dioxyde de soufre, bisulfite de potassium, métabisulfite de potassium, comprimé Capden, conservateur E220… est tout simplement un agent de conservation.
«De tout temps on a cherché des solutions pour conserver le vin. Les Romains, par exemple, utilisaient des plantes aromatiques», dit l’œnologue Stéphane Derenoncours, interrogé par la revue Le Rouge et le Blanc.
On en met à presque toutes les étapes de la production du vin. Il a plusieurs rôles, c’est un antioxydant, on peut donc en ajouter dans la cuve aussitôt le raisin récolté. Il est antiseptique, on s’en sert pour nettoyer les barriques [mèche de soufre] et tout le matériel. Il stoppe l’action des levures, on l’utilise donc pour arrêter la fermentation. Il est employé sous plusieurs formes: liquide, gaz, sel, capsule…
Selon Stéphane Derenoncourt, il faut «surtout de ne pas omettre de soufrer, car on doit craindre par-dessus tout des levures comme les brettanomyces qui donnent une odeur d’écurie et que l’on retrouve dans biens des vins bio.»
En général, il est assimilé, transformé, dégradé ou évaporé au fil du processus. Toutefois, là où il semble y avoir le plus d’effet pour le consommateur, c’est qu’on en ajoute au moment de l’embouteillage pour protéger le vin lors du voyage et permettre qu’il se conserve.
Sinon, il pourrait vite se détériorer, et dans certains cas, la fermentation pourrait même redémarrer.
Chaque producteur a ses techniques et emploie différemment le soufre. Même les producteurs bio en utilisent.
Il y a des sulfites dans une centaine de produits alimentaires courants : céréales, charcuteries, croustilles, fruits séchés, jus de fruits, pâte de tomate, pains, biscuits, gâteaux, fruits de mer… Voir la longue liste dans le site de Santé Canada.
Est-ce qu’il y a des vins sans sulfite?
Il faut dire au départ que la fermentation elle-même produit des sulfites.
Toutefois, certains producteurs essaient de ne pas en ajouter. Ils font des expériences. «Beaucoup de sans soufre sont fait avec de l’acide ascorbique, du sorbate de potassium, ou des filtrations stérilisantes [ 1/3 de microns ] C’est beaucoup plus pénalisant pour le vin que le soufre,» nous dit Nicolas Joly de la Coulée de Serrant, dans la Loire.
On peut faire du sans soufre, nous dit-il, mais il ne faut pas alors qu’il voyage. «Trop de vins sans soufre sont détruits à l’étranger après un long voyage et cela sert nos détracteurs à attaquer les vins en bio ou biodynamie.»
Sans soufre, le vin doit alors être transporté comme du lait, dans des conteneurs réfrigérés. «Certains vins sans soufre sont transportés, et stockés comme des produits frais pour ne pas refermenter. Un énorme gaspillage d’énergie» dit Jean-Marie Maujean du groupe Les Logiques Bio. «Même les producteurs bio en rajoutent, le moins possible pour permettre au vin de se conserver.»
Toutefois, les expériences continuent et des producteurs font de la recherche et des tests sur certaines cuvées, c’est le cas au Domaine Pierre Frick en Alsace. Chantal Frick nous dit que «tous les vins du monde, à quelques exceptions près, sont sulfités. Il existe quelques producteurs, qui vinifient des cuvées sans soufre. Nous vinifions sans ajout de soufre 2 à 3 cuvées par an depuis 1999. Attention, faire la différence entre une vinification sans soufre + mise en bouteille sans soufre, et le cas où le vin est vinifié sans soufre et reçoit du soufre à la mise en bouteilles. Chez nous, c’est clair : quand c’est ‘sans soufre’, c’est de A à Z !»
Au Québec, on peut se procurer du vin sans soufre auprès d’agences qui font des importations privées.
Plus fragile
Il faut alors respecter toute une série de conditions. Chez les Frick, ces vins sont filtrés sur plaque en cellulose trois à quatre heures avant la mise en bouteilles.
Les bouteilles sont fermées avec des capsules en inox, comme les bouteilles de bière.
Il est à noter qu’en l’absence de soutirage à l’air, ces cuvées perlent légèrement. Elles conservent toujours du gaz carbonique.
Le vin doit ensuite être transporté et stocké à des températures ne dépassant jamais 15 °C. Donc, il n’est pas question de les mettre sur les tablettes de nos commerces.
Il faudra donc aller les consommer sur place.
Les avis sont très partagés sur le plaisir de déguster les vins sans soufre. Le réputé vinificateur-conseil du Château Pavie-Maquin, Stéphane Derenoncourt, n’y va pas avec le dos de la cuillère lorsqu’il affirme que «je n’ai aucun plaisir à les boire. La franchise doit-elle aller jusqu’à vous avouer que je trouve que souvent ils puent ! Et quand ils sont buvables, ils manquent d’ossature, de corps et expriment une exacerbation aromatique de vins pas »finis ». On veut tellement les protéger qu’ils ne sont plus travaillés, qu’ils gardent un côté brut, gazeux, réduit, et bien souvent phénolé.»
Pourtant, ce n’est pas l’avis des gens du tout aussi réputé Domaine Pierre Frick, qui produit de beaux vins blancs : «Dans le verre, les registres aromatiques se succèdent de minute en minute. Chaque mouvement du verre dégage un peu de gaz carbonique, modifie les arômes et le palais avec l’estompement du léger perlant présent à l’ouverture. L’idéal est de se prendre le temps d’apprécier ces vins au présent, sans laisser une goutte dans la bouteille pour le lendemain. Nous vous invitons à de passionnantes explorations olfactives et gustatives!»
Contient des sulfites
La réglementation européenne oblige maintenant les producteurs a indiquer «Contient des sulfites» si on en trouve plus de 10 mg/litre. Ce qui enrage les producteurs bio comme le dit M. Maujean. «Le plus grave problème vient du fait que nous devons mettre sur la bouteille contient des sulfites. Mais les bio demandent que soit rajoutée la quantité de sulfites. Il est nécessaire de comprendre que dans un apport ce n’est pas l’apport le plus important, mais sa quantité.»
En effet, certains vins en contiennent 40 mg/litre et d’autres 300. Toute une différence!
Est-ce dangereux pour la santé?
Plusieurs personnes disent avoir des maux de tête qui seraient causés par ces sulfites.
Pourtant, le monde médical dit que ce n’est pas une allergie, mais plutôt une intolérance alimentaire. «Elle ne met pas en cause le système immunitaire. Elle résulterait du déficit d’une enzyme spécifique chez le sujet ou d’une sensibilité à un composant ou a un additif alimentaire.» Un peu comme les intolérances au glutamate de sodium, lactose, fructose, histamine, chocolat et certaines épices…(Cellier no 13)
Santé Canada nous dit que «bien que les sulfites ne causent pas une véritable réaction allergique, les personnes qui y sont sensibles peuvent éprouver des réactions similaires à celles associées aux allergies alimentaires.»
«L’intolérance aux sulfites est une réaction inflammatoire», lit-on sur le site AlergoLyon. On y lit aussi que «l’intolérance aux sulfites ne pose, en général, pas de problème.» Sauf pour les «patients porteurs d’un asthme et ceux porteurs du syndrome de Fernand VIDAL (polypose nasale, asthme, intolérance à l’aspirine).» Environ 5 % des asthmatiques ont des difficultés à respirer dans les minutes suivant la consommation de sulfites.»
Les réactions d’intolérances au vin (sauf la toux) seraient dues à l’éthanal.
Voir Non, les sulfites ne sont pas un problème dans le vin. Le coupable serait l’éthanal.
La position de la SAQ
Au Québec, tous les vins commercialisés par la SAQ contiennent des sulfites. La Société d’État dit que c’est essentiel à la stabilité du produit, sinon le vin s’oxyderait et ne serait plus intéressant à boire.
La SAQ limite à 50 ppm [parties par million] l’anhydride sulfureux à l’état libre et à 300 ppm l’anhydride sulfureux à l’état combiné et on nous dit qu’«il est très rare que les quantités de sulfites dans les vins atteignent ces limites.»
En 2015, c’est 420 ppm total et 70 libre. (Normes en vigueur)
On ajoute que «les sulfites constituent un excellent antiseptique qui contrôle efficacement le développement de tous les micro-organismes. De plus, en fixant l’oxygène présent dans le vin, ils préservent les vins de l’oxydation et du vieillissement prématuré. Bref, les sulfites bonifient de façon appréciable les qualités organoleptiques du vin.»
«Seuls les gens qui ont une sensibilité particulière peuvent réagir à la présence des sulfites dans les vins et ce, peu importe le type de vin. Les personnes souffrant d’asthme sont les plus vulnérables à ce type de réactions. Pour l’ensemble de la population, la présence de sulfites dans le vin constitue surtout un avantage.
Donc, pour les gens ayant une certaine intolérance aux sulfites, il est souhaitable de consommer des vins plus âgés, déjà embouteillés et d’éviter les vins en vrac, les vins en vinier ou en carafon puisque ces vins contiennent un ajout de sulfites afin de les conserver plus longtemps.»
Alors, quoi faire?
La quantité de sulfite peut varier énormément d’un produit à l’autre. Pascal Patron dans son tout récent Guide des vin bio dit que «la viticulture conventionnelle autorise des doses maximales de 160 mg/l pour les rouges, de 210 mg/l pour les blancs et les rosés secs et de 400 mg/l pour les liquoreux. La viticulture bio n’en permet que la moitié environ.»
Toutefois, comme l’écrit M. Patron, le label bio concerne la production du raisin et beaucoup moins la vinification.
On sait aussi que les vins bouchés avec des capsules à vis en contiennent généralement moins. Cette capsule étant réputée plus étanche que les bouchons de liège, les producteurs mettent donc moins de préservatifs.
Il semble aussi y en avoir moins dans les vins de qualité, de producteurs réputés que dans les vins de dépanneurs qui sont conservés à des températures élevées.
Quelques conseils?
J’ai souvent remarqué que certains vins bus en petites quantités donnent des maux de tête, alors que d’autres, pourtant absorbés en plus grande quantité, nous laissent frais et dispo. Il faut alors viser la qualité.
Les raisins cueillis à la machine sont en général plus soufrés. Les baies sont en partie brisées, donc il faut ajouter un antioxydant pour empêcher le démarrage de la fermentation lors du transport du champ au chai et réduire l’action des bactéries. «Il est évident qu’une vendange abîmée ou pourrie aura besoin de plus de soufre comme protection,» affirme Stéphane Derenoncourt.
Les vins de qualité sont en général cueillis à la main et transportés dans des cagettes de moins de 10 kilos afin de ne pas briser la peau des raisins avant le tri.
On ajoute moins de soufre aux vins rouges, car ils contiennent des tanins qui sont aussi des antioxydants.
Par contre, on doit ajouter plus de soufre aux vins peu acides, car le SO2 perd de son efficacité en milieu peu acide. Les vins acides se retrouvent surtout dans les climats plus froids. On doit mettre beaucoup plus de sulfite dans un vin au pH de 3,5 que dans celui au pH de 3,2. Un vin au pH de 3,2 est environ 75 % plus acide que celui au ph de 3,5.
Les vins vieux semblent causer moins de problèmes. Est-ce dû à la qualité ou au fait que le long séjour en bouteille dissipe ou transforme le soufre?
Un autre truc souvent efficace et qu’on fait machinalement est d’aérer son vin, de brasser vigoureusement le verre, ou tout simplement de le mettre en carafe. Ceci a aussi l’avantage d’exhaler les arômes.
À votre santé!
Merci à Chantal Frick, Nicolas Joly et Jean Marie Maujean d’avoir si gentiment consacré une partie précieuse de leur temps à répondre à mes questions.
Pour en savoir plus sur le sujet:
- Sensibilité aux sulfites, Agence canadienne des aliments
- Guide des vins bio, Pascal Patron, Les Éditions Quebecor, 2007.
- Soufrer n’est pas jouer, Éric Conan, L’Express, juin 2006
- L’art et la manière de ne pas avoir peur du soufre, Entretien avec Stéphane Derenoncourt, Le Rouge et le Blanc (PDF)
- La question du soufre, Éditorial, Le Rouge et le Blanc, automne 2005
- La maîtrise du sulfitage des moûts et des vins, ITV France, mai 2002
- Can’t hold the sulphites? Bill Zacharkiw
- Des scientifiques européens cherchent une alternative au dioxyde de soufre dans la vinification
- Le SO2 : anhydride sulfureux ou dioxyde de soufre, Fiche pratique, Institut français de la vigne et du vin
- La Corde sensible, Cellier no 13, hiver 2009-2010, p 15
- Sulfites – Un des neuf allergènes alimentaires les plus courants qui entraînent des réactions indésirables sévères, Santé Canada
- Intolérance aux sulfites, AlergoLyon, mars 2007
- Parlons de sulfites, vidéo de 3 min, Pascal Patron
- Une réaction au sulfite
- SO2 et sulfitage – Foire aux questions, FNIVAB
- Le vin et nos migraines
- Les vins sans sulfites au Québec
- Intolérances et allergies alimentaire
- Que fait le soufre dans le vin? Volker Schneider
- Allergie et intolérance au vin
- La stabilisation des vins à faible acidité exige plus de SO2
- Norme européenne de sulfites dans le vin
- Ecocert – vin biologique RCE 203/2012
- Normes en vigueur – Constitution et stabilité SAQ (PDF)
- Non les sulfites ne sont pas un problème dans le vin (2019)
- Les sulfites, sensibilités chimiques, Allergies Québec. (2020)
- Les sulfites en oenologie, Institut français de la vigne et du vin, novembre 2021. (Document PDF, 36 pages.)
Dernier ajout : 28 janvier 2022