Vous connaissez Jura, Arbois, Chalon, l’Étoile?
Un tout petit peu! Pourtant, il y a dans cette petite région de l’est de la France, au sud de l’Alsace, entre la Bourgogne et la Suisse, de très beaux vins distinctifs.
Du chardonnay, du savagnin, du vin jaune, du vin de paille, du Macvin; en rouge du poulsard, du trousseau et du pinot noir. Des savagnins ouillés ou pas ouillés. Toute une variété.
Des vins frais, vifs, bons en jeunesses et qui vieillissent admirablement. Il y en a peu au Québec (19 produits), mais ça va changer. Des producteurs de cette région se sont regroupés pour conquérir le marché de l’Amérique française. Ils ont lancé une campagne de trois ans pour promouvoir leurs vins chez nous.
La SAQ a acheté une quinzaine de nouveaux produits de cette région. Ils seront sur les tablettes au début de l’année prochaine. D’autres pourraient suivre.
Les producteurs du Jura savent qu’ici au Québec, on est toujours à la recherche de nouveautés, de vins originaux, typiques; que plusieurs d’entre nous veulent goûter autre chose que de gros vins pâteux, boisés et alcoolisés.
En compagnie de chroniqueurs vin du Québec et de New York, j’ai passé quelques jours dans ce vignoble à l’invitation du Comité interprofessionnel des vins du Jura.
Première constatation : une grande diversité de styles, d’un secteur à l’autre, du sud au nord; diversité aussi entre les produits d’un même producteur! Donc, une production typique, variée et originale.
Les vins de niche du Jura, consommés avec une touchante fidélité sur place mais méconnus ailleurs, se réveillent et commencent à rêver de devenir universels. Ils ont de solides raisons, dotés qu’ils sont d’une forte et originale personnalité et parce qu’une nouvelle génération en modernise intelligemment le type. (Guide Bettane et Desseauve 2010)
Trois cépages typiques
Le savagnin est le cépage blanc typique du Jura. On en fait des vins jaunes, qui passent plus de six ans en barriques non ouillés et aussi des vins blancs qui vont d’un style floral et frais (ouillé et appelé Naturé) aux blancs de type oxydatif.
La technique de l’ouillage est très couramment utilisée dans tous les vignobles du monde. Il s’agit d’ajouter du vin aux barriques afin de compenser l’évaporation. En effet, le vin s’évapore par les pores du bois. La perte, appelée «part des anges», peut aller jusqu’à 40 % dans le cas des vins jaunes. Un mille litres peut être réduit à 620 litres au bout de 6 ans. Ce qui correspond très bien au format de la bouteille dite clavelin qui contient 620 ml de vin jaune.
Si on n’ouille pas, le vin s’oxydera et sera perdu. Sauf en Jura (et en Andalosie, Jerez) où un champignon (levure) sur les raisins, dans l’air, dans les caves protège les vins. Cette levure se multiplie à la surface du liquide vineux formant ainsi un voile mince qui le préserve et l’alimente.
Ceci permet d’obtenir un vin dit de type oxydatif. Le vin acquiert une légère saveur oxydée, mais ne s’oxyde plus! Cette technique est pratiquée pour les vins jaunes, mais aussi pour plusieurs chardonnays et savagnins.
Ces vins se conservent très bien sans qu’on soit obligés d’y ajouter trop de soufre. D’ailleurs, les producteurs du Jura sont bien fiers de dire qu’ils utilisent peu de sulfite dans leur vin. M. Jean-Michel Petit nous dit que la SAQ s’inquiétait qu’il y avait peu de SO2 dans ses vins du Domaine de la Renardière, seulement 32 mg. Il a répondu «il n’y a pas de craintes. On utilise peu de soufre dans le Jura et nos vins se conservent tout de même très longtemps.»
On produit aussi des vins non ouillés avec le savagnin. On nomme alors quelquefois ce vin le Naturé. «Le Naturé est une ancienne dénomination du cépage savagnin. Elle est utilisée aujourd’hui pour les savagnins qui ne sont pas élevés sous voile.» (Jean Berthet-Bondet)
Le savagnin est un cépage tardif. Il est vendangé le dernier.
Le poulsard, dit aussi plousard à Pupillin et à Arbois est un cépage rouge qui donne des vins légers, très pâles, souvent bien épicés, poivrés même. Un vin de soif à servir frais sur des plats légers. Plusieurs poulsards découverts sur place sont de petits délices. On en fait aussi des rosés. La distinction ici entre rosé et rouge n’est pas toujours très claire.
Le trousseau est l’autre cépage typique du Jura. Il donne des vins assez costauds, épicés et souvent rustiques. Il est arrondi avec un peu de poulsard.
Le pinot noir, souvent utilisé en assemblage avec les deux précédents. Seul, il donne pourtant des résultats quelquefois étonnants et plus intéressants que dans de nombreux vins de Bourgogne.
Le chardonnay a trouvé ici une terre de prédilection. Le sol est tellement gorgé de minéraux que les vignerons peuvent produire des vins remarquables de vivacité, de saveurs et de fraîcheurs sans être obligés d’utiliser les artifices du boisage et du toastage couramment employés dans d’autres régions et pays.
J’y ai goûté un chardonnay 1969 et un 1986 (Domaine Jacques Tissot, Arbois) amples, d’une grande fraîcheur, profonds, de grands vins. Étonnant, lorsqu’on constate qu’en Bourgogne, juste à côté, on peine à bien faire vieillir les vins blancs depuis quelques années.
Chardonnay et savagnin sont quelquefois assemblés en type dit floral ou traditionnel.
On produit aussi des vins appelés Corail. Ce sont des vins rouges «rosés», fait avec des cépages rouges et un peu de blanc. Ils ne sont pas faits par saignée comme des rosés, mais bien par macération comme les rouges. Château d’Arlay (5 cépages macérés pendant une semaine) et Henri Maire (2 cépages) font de tels vins.
Vous verrez aussi sur certaines étiquettes Rubis. Ce sont des vins rouges qui contiennent un des trois cépages ou un assemblage.
Les diversités du Jura
À l’intérieur du Jura, il y a plusieurs appellations: Château-Chalon, où on élève de grands vins jaunes. Il se fait aussi du vin jaune hors de Chalon, dit Vin jaune du Jura, souvent plus léger que le Chalon et plus facile à apprécier en jeunesse.
Il accompagnera idéalement le homard à l’armoricaine, les volailles à la crème, les morilles, le haddock, les plats au curry et bien évidemment, le fromage de Comté.(…) les amateurs confirmés n’hésitent pas à sacrifier une petite proportion de la bouteille pour améliorer une sauce et se transformer instantanément en grand chef.(vin-chateau-chalon.com)
Arbois, le secteur central; Arbois-Pupillin, un secteur de l’Arbois où on est fier de faire du très beau plousard; Côtes du Jura, l’Étoile…
J’ai bien écrit les diversités au pluriel. Il y là des vins pour tout le repas. (Voir la carte des accords) On commence par le Crémant. Un mousseux léger, souvent délicat, simple, floral et qui rince bien la dalle. Le Vin de paille, sucré, souvent bien coulant, quelquefois un véritable nectar. Le Macvin, un vin de liqueur qui fait penser à un pinot de Charente et qui s’écoule facilement. On nous dit qu’on pourrait en produire plus, mais on manque de marc.
Les producteurs
Une vingtaine de producteurs du Jura se lancent à l’assaut du marché québécois. Certains sont déjà présents, comme les grandes maisons de Rolet et d’Henri Maire. Vous connaissez peut-être Stéphane Tissot qui distribue de très beaux vins ici depuis quelques années. Plus récemment, Cabelier nous a étonnés par son Château-Chalon 1999 a très bon prix (31 $). Il y a quelques bouteilles qui sont réapparues sur les tablettes dernièrement.
D’autres seront présents ici bientôt dont Benoit Badoz qui a une gamme de vin étonnante, son vin de paille est un grand délice; Berthet Bondet qui fait des vins de grande classe; Château D’Arlay; La Pinte; le regroupement de producteurs Juravinum et la Fruitière vinicole d’Arbois. Une fruitière? Oui, où on met en commun le fruit de son travail. Un regroupement de vignerons formé en 1906 après une révolte.
Enfin, plusieurs autres, dont Daniel Dugois, Cécile et Rémi Treuvey, Désiré Petit, La Renardière, Octavin, Vieux Bourg, Montbourgeau ne sont pas connus ici, mais devraient l’être. Ce dernier domaine est dirigé par une vigneronne de grand talent, Nicole Deriaux qui fait des vins fins et élégants sous l’appellation L’Étoile.
Mentionnons aussi Caves Jean Bourdy, les spécialistes des vieux vins. La maison a été fondée dans les années 1475-1500. Les parents et grands-parents de Jean-François Bourdy ont créé tout un capital en décidant il y a très longtemps de conserver des bouteilles pour les générations futures. On a pu goûter ainsi un Château-Chalon 1937 et quelques autres vieilles fioles époustouflantes. Oui, le vin jaune de Chalon vieilli et très bien. Ils deviennent juteux, fins et toujours aussi goûteux avec leurs saveurs de noisettes et d’épices fines. À servir entre 16 et 18 °C. Son Château-Chalon 2002 est plein d’avenir et longuement savoureux.
Ces producteurs et quelques autres viendront présenter leurs produits à Montréal et à Québec au printemps. Je vous tiendrai au courant.
Je vous parlerai aussi de leurs vins au fur et à mesure qu’ils entreront au Québec.
Des vins du Jura à Vin Québec…
Pour en savoir plus sur cette région :
www.jura-vins.com
www.jura-tourism.com
www.vin-chateau-chalon.com
www.laroutedesvinsdujura.com
Deux livres Le vignoble du Jura de Sylvaine Boulanger, et Découvrir les vins du Jura de Jean-Pierre Pidoux.