Ce vieux sujet revient dans l’actualité aujourd’hui par la voie de Michel Chapoutier qui dit que l’odeur de pétrole détectée dans les rieslings est un défaut. «Le riesling ne devrait jamais sentir le pétrole», dit M. Chapoutier, cité par la revue Decanter. Il ajoute que «c’est absurde qu’un défaut historique du vin puisse être considéré comme une caractéristique du vin.»
Ce serait un défaut de vinification, et non dû au cépage ou au terroir, selon ce producteur du Rhône et maintenant d’Alsace. (Decanter)
Michel Chapoutier a fait cette déclaration au lancement de sa nouvelle gamme de vin d’Alsace. Un bon coup de marketing! Il a développé son propos lors d’une entrevue en français à DMW, faisant la comparaison avec le vin jaune.
Il n’est pas le premier producteur de riesling à affirmer cela. Lors d’un salon des vins à Montréal, un producteur d’Alsace m’avait dit exactement la même chose.
D’autres disent que c’est un défaut si on le perçoit lorsque le vin est jeune, mais que c’est une qualité dans les vieux rieslings!
Quoi qu’il en soit c’est une odeur (défaut), un arôme (qualité) qu’on sent souvent dans les rieslings. Est-ce typique des rieslings? Des bons rieslings, ou des mauvais rieslings?
D’ailleurs à ce sujet, on s’entend que la typicité est un défaut, n’est-ce pas? Les vins typiques ne sont jamais les meilleurs de leur appellation.
Ça se rapproche un peu des débats sur les odeurs d’écurie (brettanomyces) ou de pelouse fraîche (sauvignon pas mûr), ou encore de poivron dans les cabernets francs. On pourrait ajouter les odeurs de brioches (levure EC 118) dans le champagne: un défaut commun, une qualité commune, ou tout simplement quelque chose de commun (dans tous les sens de ce mot).
Est-ce qu’un défaut peut-être plaisant? Si ces odeurs, ces arômes nous plaisent alors peut-on toujours parler de défauts?
Voici ce qu’en dit un grand producteur d’Alsace, Pierre Trimbach.
L’odeur de pétrole est en principe une qualité pour des Rieslings issus de terroir calcaire, marno – calcaire – marno – calcaro – gréseux.
Certains dégustateurs apprécient énormément ce type de Riesling, d’autres moins, c’est aussi une affaire de goût personnel.
Les millésimes anciens sont plus concernés.
Les millésimes plus récents suite aux améliorations techniques (pressurage, débourbage, etc.) sont moins marqués par cette odeur de pétrole. On parle aujourd’hui plus de minéralité.Pierre Trimbach
Ou encore, un peu de défauts, n’ajoute-t-il pas à la perception de la complexité d’un vin. Ça devient alors un «défaut» recherché, une caractéristique voulue.
Une qualité si vous aimez cette odeur particulière. Mais il y a gout de pétrole et gout de pétrole. En tout cas ce gout est habituel sur les rieslings alsaciens et s’apparente à la minéralité.
Alex Heinrich, La Cave des Vignerons de Pfaffenheim, Dopff Irion, Ch. Isenbourg
Pourtant sur le site officiel des vins d’Alsace, on lit «dans son évolution, le Riesling est unique car en fonction du sol sur lequel il est planté, il développe des arômes minéraux (pierre à fusil, silex, « pétrole »…» (www.vinsalsace.com)
Par contre, le grand producteur de riesling en Allemagne, Ernst Loosen, dit que c’est une odeur indésirable.(Harpers)
Voici l’opinion de Marc Hugel sur ce sujet.
Le terme « odeur de pétrole » est à mon sens dans le même registre que celui, plus moderne de « minéralité ». Chacun a sa propre idée de ce que cela représente. Ce sont des caractères propres au cépage Riesling en phase de maturité et peuvent apparaître d’une manière très raffinée, harmonieuse et plaisante ou alors d’une manière grossière, vulgaire et déplaisante.
Ces caractères sont d’une variabilité infinie et il n’est donc pas pensable de se prononcer d’une manière systématique.
Cela dépend du terroir, de la vinification, de l’âge du vin et bien entendu du dégustateur (de son propre goût) ainsi que de l’environnement de la dégustation.
À mon sens, la seule vraie question à se poser est la suivante : est-ce que je trouve cela agréable ou pas. Et cela, personne ne peut le dire à votre place.Marc HUGEL
Un peu de pétrole, d’écurie, de pelouse, de brioche, de poivron serait une qualité, trop d’un de ces éléments serait un défaut? (À moins qu’on aime beaucoup ces odeurs.)
Donc, encore une fois : la modération aurait bien meilleur goût!
Est-ce que cela ne serait pas tout simplement une question de goût? Un défaut si l’odeur nous déplait, une qualité si on aime cet arôme.
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David Cobbold, Les 5 du vin
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Première version du texte le 10 mai et modifiée le 11 mai afin d’y ajouter les réponses de Marc Hugel, d’Alex Heinrich et de Pierre Trimbach.
Modifiée aussi le 12 avec l’ajout du lien vers DMW.