Les monopoles d’achat de vin tels la SAQ et la LCBO n’essaient pas d’obtenir les plus bas prix pour les vins qu’ils achètent et même dans certains cas elles demandent aux fournisseurs de hausser leurs prix.
En général, dans le monde, les acheteurs veulent obtenir les produits au meilleur prix possible. Et plus un acheteur est gros et puissant, plus il peut obtenir de bons prix.
Mais, la LCBO et la SAQ ne veulent pas profiter de cette position de grand acheteur pour obtenir les prix les plus bas possible.
On a déjà entendu cette histoire d’acheteurs de la SAQ qui avait demandé à des producteurs de vin d’Uruguay médusés de hausser leurs prix. (Voir Le scandale des prix du vin à la SAQ: pas une première) Puis, il y a eu cette histoire qualifiée de Scandale de l’euro.
Le rapport annuel remis la semaine dernière par le vérificateur général de l’Ontario jette un éclairage éclatant sur ce phénomène. M. Jim McCarter trouve étonnant que la société des alcools de l’Ontario, pourtant l’un des plus grands acheteurs au monde, ne se serve pas de son vaste pourvoir d’achat pour obtenir de meilleurs prix et ainsi augmenter ses profits.
La lecture de son rapport annuel est très instructive, même pour nous du Québec, car elle explique le fonctionnement du service des achats de la LCBO qui selon le vérificateur serait semblable à celui de la SAQ et des autres monopoles de vin au Canada et en Scandinavie.
Voici donc quelques extraits du rapport du vérificateur général de l’Ontario sur les politiques d’achat de la société des alcools de l’Ontario, appelé RAO ou LCBO.
«En dix ans, les ventes de la RAO ont augmenté de 67 % et les bénéfices nets de l’organisme ainsi que les dividendes qu’il verse au gouvernement provincial, d’environ 80 %.
Les résultats d’un sondage mené en avril 2011 montrent que le prix de détail moyen des vins est inférieur en Ontario à celui de toutes les autres administrations canadiennes.
Le processus d’approvisionnement de la RAO diffère de celui des détaillants du secteur privé. Dans ce secteur, les détaillants s’efforcent d’acheter leurs produits au plus bas prix possible. On pourrait s’attendre à ce que la RAO, l’un des plus importants acheteurs d’alcool du monde, adopte une stratégie similaire, mais ce n’est pas le cas.»
Calcul à l’envers
«Au lieu d’être axée sur les coûts, la stratégie de la RAO repose sur le prix de détail que l’organisme veut demander pour un produit. Les fournisseurs soumettent un prix de détail se trouvant à l’intérieur de la fourchette définie dans l’appel de produits de la RAO et font ensuite le calcul à l’envers, en appliquant la structure de prix fixes de la RAO pour déterminer le prix de gros qu’ils demanderont.»
Les agents du vérificateur ont découvert des cas où les fournisseurs ont soumis des prix de détail considérablement inférieurs aux prix attendus par la RAO, qu’elle leur a ensuite demandé de hausser.
«La plupart des grands détaillants profitent de leur pouvoir d’achat pour négocier avec les fournisseurs et obtenir de meilleurs prix. Nous avons constaté que la RAO ne négocie pas de ristourne pour les achats de volumes importants afin de diminuer ses coûts. C’est également le cas des autres administrations canadiennes examinées.» (Dont la SAQ)
«La structure de prix fixes de la RAO ne favorise pas la négociation de prix de gros inférieurs, qui entraîneraient des prix de détail moins élevés qui, à leur tour, généreraient moins de profits. Cela va à l’encontre du mandat de la RAO, qui vise à générer des profits pour la province et à encourager une consommation responsable.»
Même chose à la SAQ
«Le processus d’acquisition de la RAO est conforme à celui en vigueur dans les autres administrations canadiennes...»
On veut des vins chers!
La RAO veut des vins chers «parce qu’elle offrait déjà une sélection satisfaisante de vins à moins de 10 $.»
«En résumé, la RAO établit le coût qu’elle paiera pour un produit en fixant d’abord le prix de détail. Nous avons en outre constaté que la RAO ne négocie pas de ristournes pour les achats de volumes importants afin de réduire ses coûts, mais aucune autre administration canadienne examinée ne le fait.
Marge variable
À cause de sa structure de prix fixes, la RAO ne gagne rien à réduire le prix de gros qu’elle paie aux fournisseurs, parce que cette façon de faire entraînerait des prix de détail inférieurs et donc des profits moindres – ce qui contreviendrait au mandat de l’organisme.» Le vérificateur suggère donc à la RAO de modifier sa politique et de demander le meilleur prix possible quitte à par après «ajouter à ce prix une marge bénéficiaire variable pour atteindre le prix de détail fixé».
La RAO répond qu’elle «est impatiente de discuter avec le ministère des Finances de la recommandation d’un projet pilote de marges bénéficiaires variables».
Le goût: juste 20 points!
«Les vins à être acheté pour le répertoire général sont évalués grâce à une grille de 100: «données sur les ventes (10 points); données sur le marketing (45 points); évaluation organoleptique (20 points); conditionnement (25 points).
Le coût du produit n’est pas pris en compte dans le processus de sélection, puisque la lettre de besoins précise déjà le prix de détail».
Pour les produits destinés à Vintages, on tiendrait plus compte du goût, de l’évaluation organoleptique. Toutefois, «la RAO n’a pas été en mesure de retrouver les cotes de ces évaluations pour 143 des produits de Vintages de notre échantillon, alors qu’elle a acheté 60 de ces produits».
«Il n’est pas toujours facile de déterminer pourquoi certains produits ont été retenus.» De plus, on apprend que «très peu de produits sont achetés directement en réponse à la sollicitation d’un fournisseur.»
Achats directs de produits destinés à Vintages
Le chapitre concernant les achats pour la section Vintages est assez particulier. La section Vintages est celle des produits supérieurs au bas de gamme. On y trouve des vins de 15-20-30 dollars et plus.
«La RAO nous a informés que les principaux critères de sélection des produits achetés directement comprennent les ventes élevées des produits achetés antérieurement…»
Pourtant, le vérificateur constate que «plus de la moitié des produits ayant connu peu de succès auparavant continuaient d’afficher des résultats médiocres.»
«Nous avons constaté que souvent, aucune mesure opportune n’avait été prise pour corriger la situation des produits offrant un faible rendement, et que certains de ces produits n’avaient pas atteint les objectifs de ventes sur une période de quatre ou cinq ans.»
«Au moment de notre vérification, la RAO n’avait mis en place aucune politique ou procédure écrite pour orienter le processus d’achat direct. En conséquence, aucun critère d’évaluation officiel n’avait été établi pour évaluer les produits soumis…»
Donc, le chapitre 3 du rapport annuel du vérificateur de l’Ontario est très intéressant à lire, car il nous permet de mieux comprendre le processus de sélection, d’appel d’offres et d’approvisionnement en vin d’un monopole canadien.
(Acquisition de nouveaux produits par la RAO, Rapport annuel du vérificateur général de l’Ontario. p. 209 à 227.)
Voir aussi le communiqué du Bureau de la Vérificatrice générale de l’Ontario La RAO n’utilise pas son pouvoir d’achat pour obtenir des prix inférieurs auprès des fournisseurs