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Tendu, tension

Un vin tendu. C’est un terme que nous entendons et que nous lisons de plus en plus souvent.

J’ai entendu plusieurs vignerons employer les mots «tendu» et «tension» dans leurs vins lors d’un récent voyage dans le Roussillon ainsi qu’au salon Millésime bio à Montpelier.

Il y a des termes comme ça qui deviennent plus fréquents, plus usuels dans le monde du vin, comme le mot minéral. Est-ce un effet de mode? Je dirais plutôt une tendance qui reflète l’air du temps.

Le terme tension semble remplacer ceux de corsé, de charnu. Il y a peu de temps, la mode était aux vins charnus, corsés et opulents. Les vins promus par l’influent chroniqueur américain Robert Parker.  Mais maintenant, comme l’écrit Claude Gilois, on assiste à une «inversion de tendance et un mouvement, qui se cherche encore, est amorcé vers l’élaboration de vins plus digestes, moins maquillés et moins trafiqués.»
(voyagesvinsdumonde.20minutes-blogs.fr)

Jean Gardiés, (Domaine Gardiés) vigneron dans le Roussillon, qui fait de très beaux mourvèdres, carignans ainsi que des jolis grenaches blancs et gris nous dit qu’il cherche à produire des vins tendus. «Tendus comme la corde d’un arc. Et que cette tension dure longtemps. Donc pas de battonage, ni de bois vanillé. Car le gras, nous l’avons déjà.»

Ainsi, la tension serait en opposition à trop gras, qui donnerait une sensation de mollesse.

Se peut-il aussi que certains cépages soient plus propices à donner des vins tendus. Le carignan et le mourvèdre ne sont pas le merlot; les grenaches et roussanne ne sont pas des chardonnays.

À cette enseigne, la syrah joue sur les deux tableaux. Elle peut être tendue dans certaines régions ou sous la main de certains vignerons, mais mollassonne dans d’autres chais.

Les conditions climatiques de certaines régions seraient-elles aussi plus aptes à produire des vins tendus. La Loire, le Rhône, Cahors et le Languedoc-Roussillon ne sont pas Napa, Barossa, ni Mendoza.  Pourtant, on perçoit une certaine tension dans certains vins de bons producteurs du Nouveau Monde.

En Bourgogne aussi, on entend cette expression, cette recherche de la tension.  «Je cherche la minéralité, l’énergie, la tension et la finesse au au risque que les vins soient austères en jeunesse», nous disait Gregory Patriat du groupe Jean Claude Boisset, lors de son passage à Montréal en mars 2013. (http://vinquebec.com/node/10813)

Les goûts des vignerons de ces régions et ceux de leurs clients ne sont pas les mêmes. Est-ce que l’on revient encore ici à la division buveurs de vin de type A ou B, Nouveau Monde versus Europe?

L’oenologue, ingénieur agronome et formateur en dégustation Jules Lamont, oppose ROND et TENDU. «En gros un vin rond, c’est un vin dont l’alcool l’emporte sur les autres sensations en bouche, qui remplit le palais et donne une impression à la fois douce et souple, sans âpreté. Un vin rond c’est un vin facile à boire, rassurant, comme un curé de campagne chez Maupasant.»
«À l’opposé, le vin tendu, nerveux, droit dans ses bottes, construit sur une trame acide plutôt qu’alcoolique, plein d’une belle vivacité. Plus difficile à apprécier pour le néophyte, la tension se traduit en bouche par une belle sensation de vivacité et de fraîcheur.»(www.wineandthecity.fr)
Donc, vivacité élégante versus douceur agréable.

In fine, donnons la parole à la linguiste Martine Coutier qui, dans son Dictionnaire de la langue du vin,  y consacre quatre paragraphes.
TENDU : Néologiste. Qualifie un vin pourvu d’une bonne acidité qui contribue à une impression de tension dans la bouche. Voir Nerveux, vif.» Et elle cite les auteurs Pierre Casamayor, C. Tupinier et N. de Rabaudy (1983). Et pour TENSION, elle cite les revues Le rouge et le blanc et la Revue de France.

Pour citer un ami: «les vins tendus, on peut toujours les détendre avec un bon repas!»

Maintenant, pour boire des vins tendus…