La Société des alcools du Québec (SAQ) va réduire de 50 cents le prix de 1600 vins le 9 novembre.
La direction de la SAQ dit vouloir ainsi se rapprocher des prix de la LCBO de l’Ontario. Le communiqué de la SAQ affirme qu’il «s’agit d’une première étape pour réduire les prix des vins – une demande exprimée par la clientèle – qui s’inscrit dans un plan plus large visant à réviser la majoration sur les vins.»
Actuellement, pour les vins de moins de 20 $, il y a souvent une différence de 2 $ entre ceux vendus à la SAQ et les mêmes vins vendus à la LCBO. La SAQ se donne trois ans pour atteindre la parité avec l’Ontario.
Après avoir nié une différence de prix; puis avoir dit que les prix étaient plus élevés au Québec parce que les Québécois avaient accepté de payer plus pour donner plus d’argent au gouvernement; puis avoir dit que les prix montaient à cause de l’euro; puis avoir dit que les consommateurs voulaient des vins de meilleure qualité – ce que la SAQ traduisait par des vins plus chers, la direction du monopole change de cap et décide de réduire certains prix.
Pourquoi la direction du monopole du vin agit-elle ainsi?
Après avoir réduit fortement et systématiquement son offre de vins à moins de 15 $ depuis 2009 – ce qui a entrainé une quasi-stagnation des ventes – puis après avoir réintroduit quelques vins dits à petits prix – la SAQ annonce finalement une baisse de prix de 50 cents!
Une série de raisons peuvent expliquer ce retournement:
- Les pressions des consommateurs: la SAQ dit d’ailleurs que «c’est une demande exprimée par la clientèle.»
- Les articles de presse de certains médias.
- Les pressions des politiciens. La SAQ était d’ailleurs accusée de taxer plus les pauvres que les riches.
- Plusieurs consommateurs n’ont plus confiance et ont vraiment l’impression que la SAQ a exagéré les prix. Ces consommateurs se sentent exploités.
- Conséquence: les ventes en volume n’augmentent plus aussi vite depuis deux ans. Il y a même eu une baisse en 2014 – du jamais vue sauf lors de de deux grèves.
- La crainte des conséquences du jugement Leblanc.
- La peur de la privatisation
- La crainte de la libéralisation.
La SAQ a vu sa réputation descendre d’un cran à la suite du rapport de la Commission Robillard qui recommandait la libéralisation de la vente du vin et encore plus lors de la publication du dernier rapport de la Vérificatrice générale du Québec qui a mis en relief la mauvaise gestion des prix de la SAQ.
Est-ce la peur de la privatisation? Est-ce la crainte de la libéralisation demandée par plusieurs?
Est-ce le résultat du jugement Leblanc au Nouveau-Brunswick qui pourrait mener à la libre circulation des alcools d’une province à l’autre lorsque la Cour Suprême se prononcera sur cette affaire. En effet, le juge Ronald Leblanc de la Cour provincial du Nouveau-Brunswick a déclaré inconstitutionnelle la loi provinciale interdisant le libre commerce de l’alcool d’une province à l’autre.
C’est probablement un peu pour toutes ces raisons que la SAQ annonce cette semaine cette petite baisse de prix.
Mais comment va-t-elle faire?
Une baisse de 50 cents pour 1600 vins qui représente 80 % des ventes en volume de la SAQ, c’est 100 millions de bouteilles, donc 50 millions de dollars de moins dans les tiroirs-caisses du monopole.
La SAQ doit remettre 1 milliard 71 millions de dollars cette année au ministre des Finances. Elle pourrait récupérer une partie des achats des Quécécois effectuées en Ontario, achats évalués à 90 millions de dollars. (en 2014)
La direction de la SAQ s’apprête à commencer les négociations avec ses 5500 employés syndiqués pour renouveler la convention collective qui se termine en mars 2017. Va-t-elle essayer de récupérer une partie de ce 50 millions $ auprès de ses employés?
Va-t-elle finalement mieux négocier les prix avec ses fournisseurs? Espère-t-elle que cette annonce de baisse va entrainer une hausse des ventes en volume ce qui compenserait le manque à gagner?
Est-ce que le ministre des Finances va réduire ses exigences de rendement? Qu’arrivera-t-il de la taxe spécifique de 1,05$?
Le président de la SAQ dit avoir la marge nécessaire pour réduire les prix. Alain Brunet dit que «depuis les 10 dernières années, nous avons réduit nos coûts et augmenté notre efficacité, dans les succursales».
La majoration de la SAQ
Actuellement, la SAQ applique sa majoration en ajoutant un montant de 27 $ par caisse de vin qui arrive à Montréal. Puis elle ajoute des frais de service de 5 $ par caisse. Puis une majoration de 118 % soit 23,60$. (1)
Ainsi une caisse de 12 bouteilles de vin payé 3,33 $ la bouteille, soit 40 $ la caisse est majoré de 50 $. À cela s’ajoutent les frais de transport de 4 $ la caisse; les taxes d’accises de 6 $; les prélèvements pour Educ’Alcool de 0,12 $ et pour l’environnement de 0,24 $.
Ces mêmes chiffres s’appliquent aussi aux vins qui seront vendus plus de 20 $. Ainsi une caisse de vin payée 100 $ (8,33 $ la bouteille; détail 25 $) sera aussi majoré aussi des mêmes 50 $.
Nous constatons ainsi que les vins les moins chers sont fortement pénalisés par ce système de majoration.
Ce système désavantage les consommateurs qui achètent les vins à moins de 20 $.
Au final, avec les taxes qui s’ajoutent à ces montants, le prix consommateur revient à 3 fois le prix producteur pour les vins de 10-15 $ et deux fois pour les vins de plus de 50$. C’est-à-dire qu’un vin que le vigneron nous vend 5 $ sera 15 $; alors que celui de 50 $ sera 100 $.
Le monopole ontarien de la LCBO utilise une majoration fort différente. C’est une majoration uniforme en pourcentage qui s’applique à toutes les caisses, quel que soit le prix de base. C’est actuellement de 71 %. Donc, mis à part les frais de transport et la taxe d’accise, les vins à petit prix vendu à la LCBO ne sont pas pénalisés comme c’est le cas au Québec.
La SAQ s’est fait demander par des députés en commission parlementaire le printemps dernier de corriger cette situation défavorable aux consommateurs moins fortunés. Le président de la SAQ, Alain Brunet, a alors promis de corriger cela pourvu que ce soit à coût nul.
C’est probablement ce qu’il tente de faire actuellement.
Alors que signifie tout cela ?
Une toute simple opération de relation publique?
Plus que cela: une opération visant à plaire au gouvernement qui lui a demandé de se bouger le cul et de modifier ses façons de faire.
Le gouvernement veut d’ailleurs modifier le modèle d’affaires de la SAQ comme l’a répété à plusieurs reprises le ministre Leitão et la direction de la société d’État veut ainsi se montrer proactive.
Finalement, mentionnons qu’étrangement cette baisse la SAQ ne l’appliquera pas aux vins qu’elle vend aux épiciers et dépanneurs, ni aux restaurateurs! (700 millions $)
Donc en résumé, ce 50 cents c’est :
- Opération de relation publique
- Action pour plaire au gouvernement
- Opération marketing
- Vise à contrer la libéralisation
- Réaction au jugement Leblanc sur la liberté de commerce entre provinces.
(1) Ces prix datent de 2006. Ils peuvent avoir été augmentés, mais le modèle est toujours le même aujourd’hui.
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Références
- La loi qui limite l’importation d’alcool provenant d’une autre province est inconstitutionnelle (Jugement Leblanc)
- Rapport Vérificateur général 2005
- La SAQ veut payer cher (rapport de la Vérificatrice générale, 2016)
- La SAQ n’utilise pas son fort pouvoir d’achat
- Vins retirés remplacés par des plus chers
- Comment la SAQ fait disparaître des vins de moins de 15 $
- Baisse des ventes en volume dans les succursales de la SAQ (décembre 2014)
- Les ventes de vin repartent à la baisse (2015)
- La commission Robillard demande la fin du monopole de la SAQ
- Entrevue du président de la SAQ par Gérald Fillion (26 oct).
Dans la série Comprendre la SAQ